Barrages et hydroélectricité de la Durance
Durant le Festival international du journalisme vivant à Couthures, l’European Water Movement a animé un des ateliers de la thématique eau, sous la forme d’une controverse portant sur la question « l’hydroélectricité est-elle une énergie verte et renouvelable et une réponse face au réchauffement climatique ? ».
Dans le discours dominant et dans l’opinion publique, l’hydroélectricité doit être développée en vue de la transition énergétique et seuls quelques très grands barrages et centrales hydroélectriques en Amsud, Afrique et Chine ont des impacts environnementaux très négatifs. L’European Water Movement a remis en question ces affirmations à travers des exemples pris en France, en Espagne et dans la région des Balkans.
Un des exemples pris en France concerne la Durance.
La Durance, une rivière à la fois alpine et méditerranéenne
La Durance, considérée autrefois comme une rivière capricieuse et dévastatrice, prend sa source au col de Mont Genèvre et se jette dans le Rhône 305 km plus loin, au sud d'Avignon. La superficie de son bassin versant est égale à la moitié de celle de la région PACA.
La Durance fournit, avec ses affluents comme le Verdon, 75% de la ressource en eau de la région. Les hautes eaux sont au printemps et au début de l’été, période de la fonte des neiges. Les plus fortes crues ont lieu en automne, période de pluies parfois violentes en climat méditerranéen.
L'aménagement de la Durance et du Verdon
L’État a décidé en 1955 d’aménager la Durance et le Verdon pour produire de l’électricité, fournir de l’eau pour l’irrigation, assurer l’accès à l’eau potable des villes et lutter contre les petites et moyennes inondations.
La réalisation de l’aménagement a été confié à EDF. EDF a construit 17 barrages dont le grand barrage réservoir de Serre-Ponçon, un canal dit usinier, 30 centrales hydroélectriques dont 15 sur le canal usinier.
Le canal usinier démarre au barrage de Serre-Ponçon et se termine à l’étang de Berre. Le réservoir de Serre-Ponçon contient 1,2 milliards de m3 d’eau de la Durance. La majeure partie de l'eau qu'EDF laisse sortir est injectée dans le canal usinier, avec un débit maximum de 250 m³/s et en moyenne 3,6 milliards de m³ d’eau par an avec 500000 tonnes de limon.
Les centrales hydroélectriques du canal usinier produisent 6,5 milliards de KWh/an en moyenne, équivalent à la consommation électrique de 2,5 millions d’habitants, avec une puissance instantanée maximale de près de 2GW disponible en 10 mn. L’ensemble des centrales hydroélectriques sont pilotées par un centre de contrôle à Sainte Tulle.
Impact environnemental sur la Durance
La dérivation de la majeure partie de l’eau de la Durance dans le canal usinier ne laisse que 1/20 du débit naturel en moyenne Durance.
Cela a plusieurs conséquences environnementales :
- Le débit réservé trop faible ne permet pas une recharge suffisante des nappes alluviales et l’auto-nettoyage de la rivière
- Les étiages sont plus sévères et vont être en plus aggravés par le changement climatique
- L’altération de l’hydromorphologie de la rivière entraîne une perte de biodiversité et de continuité écologique (68 seuils sur la Durance)
- L’apport moindre d’eau et de sédiments de la Durance dans le Rhône contribue au recul du trait de côte de la Camargue aux Pyrénées-Orientales
La Durance est classée Masse d’Eau Fortement Modifiée (MEFM). La Directive Cadre sur l'Eau (DCE) impose que cette masse d’eau retrouve un bon potentiel écologique en 2027.
Comment réhabiliter la Durance pour atteindre ce bon potentiel écologique ? Il faut augmenter le débit réservé de la Durance en diminuant l’injection d’eau dans le canal usinier. Mais l’État et EDF s’y opposent pour ne pas diminuer la production d’électricité.
Impact environnemental sur l'étang de Berre
Le canal usinier et ses centrales hydroélectriques contribuent aussi à dégrader l'étang de Berre, plus grand étang salé d’Europe.
Avant la construction du canal usinier, l'apport d'eau douce par le Touloubre et l'Arc était compensé par un apport d'eau de mer par le canal de Caronte et le tunnel de Rove. Depuis l'effondrement du tunnel de Rove et le rejet d'eau douce par le canal usinier, la salinité de l'étang de Berre a fortement diminué.
Les pollutions industrielles jusqu'aux années 70 et urbaines jusqu'aux années 2000 ainsi que le rejet d’eau douce et de limons du canal usinier entraînent une perte considérable en biodiversité, l’interdiction de la pêche et des baignades.
L'image satellite ci-dessous montre l'étang de Berre juste après un turbinage de la centrale hydroélectrique de Saint Chamas (point rouge). L'eau douce chargée de limon apparait clairement à la gauche de la centrale. Chaque rejet d'eau douce chargée de limon par la centrale entraîne une forte mortalité dans la faune et la flore aquatiques.
En 2004, l’État français est condamné par la Cour de justice de l'Union Européenne pour "pollution massive et répétée" de l'étang de Berre suite à une plainte de pêcheurs.
En 2006, EDF sous l’injonction de l’État dérive une partie de l’eau du canal usinier dans la basse Durance au niveau de Mallemort. Cette dérivation couplée à la fin des rejets industriels et à une maîtrise des rejets des eaux urbaines traitées entraîne la réapparition timide d’une faune et flore aquatiques dans l'étang mais ces rejets intermittents posent des problèmes environnementaux et de sécurité pour la basse Durance.
L’étang de Berre est décomposé en 3 masses d’eau: Grand étang, étang de Vaïne et étang de Bolmon qui sont classées respectivement MEN (Masse d'Eau Naturelle), MEFM et MEFM. Ces masses d’eau doivent retrouver un bon état/potentiel écologique en 2027. L’État essaie de faire passer Grand étang de MEN en MEFM dont les critères environnementaux sont moins exigeants.
Comment finir de réhabiliter l’étang de Berre ? Plusieurs solutions sont étudiées et discutées depuis des années sans que cela se traduise par des actions concrètes. Parmi les solutions envisagées, il y a :
- L’utilisation de la dérivation de Mallemort pour déverser toute l’eau du canal usinier dans la basse Durance
Cette solution implique l'arrêt des centrales hydroélectriques de Salon et Saint Chamas, ce que refusent l'État et EDF. - La construction de dérivations à la sortie de la centrale de Saint Chamas, via siphon, tunnel ou canal
Cette solution a un coût de travaux élevé et soulève des difficultés techniques parce que les dérivations traversent des zones fortement urbanisées et/ou protégées. - L’injection d’eau de mer par le tunnel du Rove
Cette solution consistant à injecter de 4 à 20 m3/s maximum d'eau de mer par pompage au sud de l'étang n'améliorerait la situation qu'à la marge pour un coût d'exploitation réel. - La transformation des centrales hydroélectriques en stations de transfert d'énergie par pompage (STEP)
Cette solution préconisée par l'association environnementale L'étang nouveau a l'avantage de résoudre à la fois les problèmes de la Durance et de l'étang de Berre, mais rencontre l'opposition d'EDF pour qui le coût est prohibitif.
Pour compliquer le tout, la métropole de Marseille doit reprendre début 2018 la compétence de suivi et de réhabilitation de l'étang de Berre et doit donc monter une équipe technique et un budget pour ce faire.
Mise à jour le 6 janvier 2017 à partir d'éléments communiqués par l'association L'étang nouveau