Barrages et hydroélectricité du Rhône
Durant le Festival international du journalisme vivant à Couthures, l’European Water Movement a animé un des ateliers de la thématique eau, sous la forme d’une controverse portant sur la question « l’hydroélectricité est-elle une énergie verte et renouvelable et une réponse face au réchauffement climatique ? ».
Dans le discours dominant et dans l’opinion publique, l’hydroélectricité doit être développée en vue de la transition énergétique et seuls quelques très grands barrages et centrales hydroélectriques en Amsud, Afrique et Chine ont des impacts environnementaux très négatifs. L’European Water Movement a remis en question ces affirmations à travers des exemples pris en France, en Espagne et dans la région des Balkans.
Un des exemples pris en France concerne le Rhône.
Le Rhône, un fleuve puissant et fortement anthropisé
Le Rhône prend sa source dans le glacier du Rhône en Suisse. Il parcourt 290 km en Suisse, se jetant dans le Lac Léman pour en sortir à Genève. Il entre ensuite en France où il parcourt 545 km pour se jeter en Méditerranée par un delta. Son bassin versant mesure en tout 97 800 km2, dont 90 000 km2 en France, soit environ 17 % de la superficie de la France métropolitaine.
Le Rhône a un débit moyen de 251 m³/s à Genève et de 1710 m³/s à Beaucaire, ce qui est considérable. Son débit subit de fortes variations saisonnières et de fortes variations journalières dues aux charges/décharges des barrages. Les basses eaux peuvent avoir lieu potentiellement en toutes saisons mais elles sont les plus fréquentes fin d’été et début d’automne.
100 ans d’aménagement du Rhône l’ont artificialisé sur 80 % de son parcours. En 1934, la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) reçoit la concession des travaux d'aménagement du Rhône en France. Cette SEM détenue à 49 % par Engie (ex GDF-Suez) est depuis chargée de l'aménagement général du fleuve, en particulier pour la production hydroélectrique et la navigation.
La plupart des méandres et des lônes ont été supprimés. Des chenaux étroits et profonds ont été créés à l’aide de digues, épis et casiers Girardon. La CNR a construit 19 barrages. Ces barrages sont associés à des canaux de dérivation (appelés aussi canaux d’amenée) parallèles à des tronçons court-circuités du Rhone à l’exception de 3 d’entre eux (barrages de Génissiat, Seyssel et Vaugris).
Ces grands travaux d’aménagement ont permis le transport fluvial de marchandises entre Lyon et Arles, et la production d’hydroélectricité, tout en luttant (avec plus ou moins de succès) contre les inondations. L’inondation de décembre 2003 provoquée par une forte crue (11500 m³/s de débit horaire à Beaucaire) et la ruptures de digues a eu des conséquences dramatiques (7 morts, déplacement de 30000 personnes et environ 1 milliard d’euros de dégâts). Cette crue majeure ainsi que les précédentes en 1993, 1994 et 2002 ont entrainé la mise en chantier du Plan Rhône en 2004. Le Plan Rhône prévoit la destruction des aménagements là où c’est possible dans les tronçons court-circuités afin de restaurer lônes et forêts alluviales et permettre ainsi à ces champs d’expansion des crues de réduire les inondations.
Production hydroélectrique
Côté Suisse, les 3 barrages sont exploités par les Services Industriels de Genève.
Côté France, le barrage de haute chute de Génissiat et 18 autres barrages de basse chute, ainsi que les 19 centrales hydroélectriques sont exploités par la Compagnie Nationale du Rhône. Les centrales hydroélectriques sont sur les canaux de dérivation lorsqu’ils existent.
Les 19 centrales hydroélectriques correspondent à une puissance installée d’environ 3000 MW, soit 25 % de la production hydroélectrique française. Cette production hydroélectrique est très sensible aux conditions hydro-météorologiques. Ainsi, la production des années 2015 et 2016 a été plus faible que prévue à cause de conditions météo défavorables.
Une étude de 2014 commanditée par l’agence de l’eau RMC et la DREAL estime que le changement climatique devrait provoquer une diminution de 30 % du débit d’étiage du Rhône en 2060. Les experts considèrent actuellement que cette estimation est très optimiste. En effet, le Rhône est en train de passer d’un régime nivéal à un régime pluvial, et son débit moyen devrait être divisé par 3 en 2100. Une diminution de débit de cette ampleur provoquera obligatoire une forte baisse de la production hydroélectrique. Il faut donc s'interroger sur la pertinence à développer l'hydroélectricité (ou tout au moins une certaine forme d'hydroélectricité) en vue de la transition énergétique.
Transfert de sédiments
Le transfert actuel de sédiments ne représente que quelques % du transfert « naturel » de sédiments d’avant les travaux d’aménagements, en particulier la construction des barrages.
Chaque barrage contrôle les débits du canal de dérivation et du tronçon court-circuité. Lorsque le débit en amont du barrage dépasse le débit nominal du canal de dérivation, les vannes du barrage sont progressivement ouvertes provoquant la chasse des matériaux accumulés en amont immédiat du barrage dans le tronçon court-circuité. Mais la plupart du temps, il ne reste dans le tronçon court-circuité que le débit réservé qui est trop faible pour assurer le transfert des sédiments.
A cela s’ajoute l’extraction de graviers, galets et sable sur le Rhône. Ces matériaux sont utilisés pour la construction d’infrastructures (routes, remblais TGV...) et pour la gestion du lit du Rhône (maintien d’un chenal navigable…).
Il en résulte un déficit important d’apport de sédiments dans le delta du Rhône. Mais le delta est aussi menacé par la pollution, la baisse du débit du fleuve (suite à un étiage sévère en 2011, la remontée du biseau salé dans le delta a détruit les récoltes de riz), et à terme par un affaissement et la montée du niveau de la mer.
Recul du trait de côte et élévation du niveau de la mer
Le courant marin liguro-provençal-catalan se forme dans le golfe de Gênes et décrit un arc de cercle le long du golfe du Lion jusqu’en Espagne. Il entraîne les sédiments rejetés par le Rhône et les dépose sur la côte jusqu’aux Pyrénées-Orientales. Ce faisant, il tend à contrebalancer l’érosion côtière par la houle qui peut atteindre jusqu’à 3,3 mètres de hauteur en Méditerranée.
Néanmoins, la diminution d’apport de sédiments provoquée par un siècle d’aménagement du Rhône est en grande partie responsable du recul du trait de côte que l’on observe de la Camargue jusqu’aux Pyrénées-Orientales.
Le BRGM a cartographié et quantifié l'évolution du trait de côte sur le territoire métropolitain et les DOM de 1937 à 2011. Le recul est plus ou moins important selon la présence ou non d'ouvrages de défense contre la mer. Sur la côte méditerranéenne, le recul peut atteindre à certains endroits jusqu'à 3 mètres par an.
Il ne fait aucun doute que l'élévation du niveau de la mer par dilatation thermique va accentuer le recul du trait de côte, puisque le réchauffement climatique est en cours. Le chiffre d'un mètre d'élévation du niveau de la mer à la fin du siècle a été avancé mais rien n'est sûr. Alors que le recul stratégique des populations et des activités littorales s'impose, c'est l'inverse qui est mis en oeuvre sur la côte méditerranéenne.