Les SemOp, une fausse bonne idée pour gérer l’eau et l’assainissement

Le vote en octobre 2018 par le conseil de la communauté d’agglomération de Dinan créant deux sociétés d’économie mixte à opération unique (SemOp), pour la gestion de l’eau et de l’assainissement, a été une surprise pour tous ceux qui s’attendaient à la mise en place de deux régies publiques à l’exemple de la régie publique de distribution d’eau potable à Saint Malo. Ces 2 SemOp sont entrées en fonction le 1er janvier 2019 pour une durée de 7 ans. Veolia est l’actionnaire privé de la SemOp pour l’eau et Saur celui de la SemOp pour l’assainissement, chacun étant « partenaire » de la communauté d’agglomération de Dinan, actionnaire public.

La SemOp est un nouveau mode de gestion des services publics locaux, introduit dans la loi en 2014. C’est la transposition française du PPP institutionnel tel que défini par l’Union Européenne en 2008, avec pour objectif rarement avoué de relancer la gestion déléguée au privée, de plus en plus contestée par les collectivités locales dans sa forme classique de délégation de service public.

Les décideurs politiques et les bureaux d’études qui les conseillent, justifient le choix d’une SemOp parce qu’il permettrait selon eux de mobiliser les capacités de financement et le savoir-faire du secteur privé, tout en offrant les perspectives d’un meilleur contrôle de l’entreprise privée par la collectivité locale. Or, il n’en est rien, pas plus pour la communauté d’agglomération de Dinan qu’ailleurs.

Une institutionnalisation du partenariat mais surtout du conflit d’intérêt

La collectivité locale –dans notre cas la communauté d’agglomération de Dinan– est pouvoir adjudicateur: elle crée la SemOp et signe avec elle un contrat que va exécuter l’actionnaire privé. Mais elle est aussi actionnaire public de cette même SemOp. Cette double casquette de pouvoir adjudicateur et d’actionnaire public rend illusoire la capacité de la collectivité locale à contrôler efficacement la bonne exécution du contrat passée avec la SemOp. Ajoutons à cela que les représentants de l’actionnaire public dans le conseil d’administration de la SemOp sont des élus présents dans l’assemblée délibérante de la collectivité locale, auxquels la SemOp verse souvent de juteux jetons de présence ; nous avons là une parfaite illustration d’un conflit d’intérêt institutionnalisé.

Même si la collectivité locale constate de graves défaillances dans l’exécution du contrat par l’actionnaire privé, il y a peu de chances que celle-ci inflige des pénalités ou procède à un recours contre la SemOp dont elle est actionnaire et dont elle supporte une partie du risque économique. Quant au remplacement de l’actionnaire privé, il est inenvisageable sauf à dissoudre la SemOp.

Une financiarisation du service public local au détriment de l’intérêt général

Bien plus qu’une privatisation du service public local, la SemOp entraîne une financiarisation de ce service. En effet, la collectivité locale, à la fois actionnaire et investisseur, cherche avant tout l’optimisation financière comme n’importe quel opérateur économique privé, au détriment de l’intérêt général des usagers du service.

En tant que société anonyme, la SemOp est incitée à faire des bénéfices. C’est le pacte des actionnaires et/ou le conseil d’administration qui décident de distribuer aux actionnaires tout ou partie de ces bénéfices sous forme de dividendes. La réglementation actuelle n’impose pas à la collectivité locale de verser ses dividendes dans le budget annexe du service. Par ce biais, la collectivité locale a tout loisir d’utiliser ces dividendes issus de la facture d’eau des usagers pour renflouer ses caisses et non pas pour améliorer le service, s’écartant ainsi du principe de « l’eau paie l’eau », encore un peu plus que la gestion déléguée au privé telle que nous l’avons connue jusqu’à présent.

Par conséquent, la SemOp est par certains aspects un mode de gestion des services publics locaux de l’eau et de l’assainissement aussi sinon plus contestable que la délégation de service public à une entreprise privée. La création d’une SemOp n’est jamais une bonne nouvelle pour les usagers de l’eau.