Lettre ouverte au peuple français
Les tyrans ont toujours quelque ombre de vertu. Ils soutiennent les lois avant de les abattre. Voltaire, Catilina, acte I, sc. 5
Français, nos frères !
Le 19 février 2013, votre Président, François Hollande, s’est rendu dans notre capitale, à Athènes. « Notre message envers la Grèce est un message d’amitié profonde, de soutien, de confiance et de croissance », voilà ce qu’a dit votre Président et il appelé les entreprises françaises à investir…investir dans la terre et l’eau.
Hollande et Samaras parlent « d’investir » dans le domaine de la gestion des nappes phréatiques de la Grèce, ressources naturelles, qui sont protégées par la Constitution grecque, et qui n’appartiennent à personne d’entre nous, ni même au Premier Ministre, qui veut en faire commerce.
Nous connaissons très bien votre combat pour la protection des biens publics et sociaux et aussi votre sensibilisation au sujet de la gestion de l’eau. Après des dizaines d’années de gestion privée et bien que les deux grandes multinationales de l’eau, Suez et Veolia, aient des intérêts français, les villes de Paris, Brest, Varages, Durance-Lubéron, Castres, Cherbourg ou Toulouse, et d’autre, se sont battues et ont obtenu que la gestion de l’eau redevienne publique. Et ces villes ont agi ainsi, après avoir vécu les conséquences de la commercialisation de l’eau, la montée vertigineuse des prix, l’accès inégal aux services hydrauliques, la dégradation de la qualité des services proposés, la baisse des investissements dans l’entretien et l’agrandissement du réseau et les pratiques de monopoles. Même si en Grèce, les gens ont oublié, les temps lointains de 1925, les conséquences du contrôle mondial de l’époque, de l’eau d’Athènes aux mains de l’entreprise américaine Ulen, nous les plus jeunes, ayant étudié et réfléchi, nous partageons avec vous exactement les mêmes inquiétudes concernant la privatisation imminente des Compagnies des eaux ΕΥΑΘ et ΕΥΔΑΠ, et de nombreux autres services municipaux, comme le bruit en court.
Notre inquiétude grandit encore pour se transformer en colère, après la réponse du Directeur de la Commission de l’UE, Olli Rhen, aux groupes de citoyens. Il a assuré que la Commission Européenne promeut à dessein la privatisation dans tous les pays qui bénéficient de plans de sauvetage, bien que cela soit contraire à la Directive de neutralité, concernant la propriété ou la gestion privée ou publique des services de l’eau (article 345 TFEU et article 171 de la Directive 2006/123/EC, en rapport avec les services de marché intérieur) mais aussi contraire au Protocole concernant les Services Publics du Traité. D’autre part, la Commission, mais aussi le gouvernement grec ignorent volontairement que c’est la Commission elle-même, qui conduit les recherches sur les plus grandes multinationales de l’eau (Suez, Veolia, Saur) à propos de pratiques de monopole ou de comportements d’harmonisation des pratiques.
Dans ce pays, qui se trouve au bord du gouffre de la faillite, qui jour après jour, perd une partie de son indépendance nationale, et où les voix et protestations des citoyens s’élevant contre le bradage des ressources naturelles de type colonialistes, sont étouffées par le dogme de la « tolérance zéro », le gouvernement grec, qui a escamoté le vote des Grecs pour « renégocier » le mémorandum, considère qu’il est urgent de remplir ses caisses avec tout ce qui peut se vendre, vendant non seulement son héritage, mais une partie de son âme. Nous, les citoyens grecs, humiliés, nous voilà revenus aux temps du protectorat, obligés de privatiser notre eau, la rendant d’une qualité douteuse et chère.
Après l’impressionnant référendum italien pour l’eau, en 2011, le retour aux services publics dans de nombreuses régions françaises, la réglementation aux Pays Bas en 2004 qui impose une gestion publique des nappes phréatiques, et leur protection par la constitution allemande, nous nous demandons : l’Union Européenne nous considère-telle encore comme des Européens ? Et nous sommes désolés justement, parce que nous sommes Européens, pas seulement pour nous, mais par crainte de devenir le cheval de Troie d’un commerce de vente d’eau dans toute l’Europe. Nous savons que le peuple français ne s’enrichira pas par l’action des multinationales françaises de l’eau, même si elle devait s’étendre jusqu’à la dernière de nos îles, et nous vous invitons à vous tenir à nos côtés. Nous ne voulons pas de tels « investissements », qui signifient la privatisation des gains et la socialisation du coût, qui conduira notre pays à s’endetter jusqu’à la nuit des temps.
Nous voulons vous crier du fin fond de notre âme que la privatisation de l’eau, en Grèce, est une question qui concerne tous les Européens, qui depuis des années, résistent vigoureusement à toute commercialisation des services de l’eau. Il s’agit d’un pas en arrière dans notre combat pour les biens publics et la vie humaine. Pour nous tous, l’eau n’est pas seulement un bien social, c’est le symbole de la justice et de la liberté, héritage commun, que nous sommes obligés de protéger, afin de le transmettre sûrement et en toute liberté à la génération future.
En conclusion, le destin de la Grèce, est aussi le destin de l’Europe, une Europe qui se comporte en oligarchie anti-démocratique, installant une féodalité du XXIe siècle d’un nouveau genre, ayant la loi du marché pour seul lobby.
Français, nos frères, nous les citoyens grecs, nous vous demandons d’être à nos côtés dans ce combat que nous menons pour une gestion démocratique de nos nappes phréatiques, face à une troïka, qui décide et ordonne, et un gouvernement, qui n’est qu’aliéné, parfois de bon gré, aux directives du mémorandum. L’heure est venue que nous donnions ensemble, un nouveau souffle à la devise liberté-égalité-fraternité.
Το εναντιούμενον τω δυναστεύοντι δήμος ωνόμασται.
On appelle démos (le peuple), ceux qui s’opposent au tyran.
Thucydide, 460-394 av. JC