Les concessions de l'eau au privé nuisent à l'intérêt public

Déclaration du Syndicat National des Travailleurs de l’Administration Locale et Régionale (STAL)

La Cour des Comptes du Portugal met en évidence le caractère ruineux du commerce de l’eau

L’audit de la Cour des comptes sur les PPP dans le secteur de l'eau confirme la véritable nature de ces affaires: les privés empochent de juteux bénéfices, les populations et les municipalités paient la facture.

L'audit de la Cour des comptes (Tribunal Das Contas) sur les PPP (Partenariats Public Privés) dans le secteur de l'eau, publié le 27 février, confirme le combat du STAL et donne raison à ses dénonciations successives de la privatisation des services publics d'eau et d'assainissement, en prouvant que c'est une activité extrêmement dommageable pour les municipalités et les populations qui sont tenues de payer tous les coûts, cependant que les privés empochent de juteux bénéfices.

Les 19 concessions municipales analysées par la Cour des Comptes: Alcanena, Barcelos, Batalha, Campo Maior, Carrazeda de Ansiães, Figueira da Foz, Fundão, Ourém, Trancoso, Gondomar, Setúbal, Paredes, Valongo, Fafe, Santa Maria da Feira, Matosinhos, Santo Tirso/Trofa, Paços Ferreira et Marco de Canaveses, présentent toutes une répartition inégale des risques bénéficiant clairement aux opérateurs privés au détriment des municipalités.

En règle générale dans ces contrats « les projections de croissance de la population et les estimations de la consommation sur lesquelles sont fondés les contrats de concession manquent de rigueur et sont en décalage avec la réalité ». Le manque de rigueur est tel que « ces estimations ont été fournies et approuvées par les organismes concédants (les municipalités), sans avoir été préalablement vérifiées ou mises en question par ces mêmes municipalités ». Pire encore, on constate que les trois quarts des contrats de concession des eaux garantissent une compensation aux concessionnaires en cas de baisse du volume d'eau facturé ou du nombre de consommateurs.

Comme le souligne le rapport, deux de ces concessions ont déjà fait l'objet de décisions du Tribunal Arbitral[1] qui ont déterminé le paiement de lourdes indemnisations aux opérateurs privés. Il s’agit des cas bien connus de Marco de Canaveses, où la municipalité a été condamnée à payer à la société de gestion Águas do Marco un montant de 16 millions d'euros. Et celui de Barcelos, condamnée à payer à Águas de Barcelos, en plusieurs échéances d'ici la fin du contrat, environ 172 M €, un montant qui représente le triple du budget municipal.

Les taux de rendement (TIR) présentés sont vraiment obscènes, allant de 9,5% à 15,50%. C’est la Cour des Comptes elle-même qui affirme que « Un tel niveau d'attente de rémunération de base des actionnaires est inacceptable à la lumière de l’actuel cadre budgétaire et économique », recommandant la révision à la baisse des TIR supérieurs à 10 % « au vu des changements du contexte et pour des raisons fondées sur l’'intérêt public ».

Tout aussi instructives sont les conclusions de la Cour révélant que « les concédants publics présentent de sérieuses limites en ce qui concerne la capacité de contrôle financier et d’analyse des risques de ces contrats, ce qui aboutit dans la négociation à une plus faible capacité technique à protéger les intérêts financiers des municipalités, y compris ceux des usagers », ce qui confirme également la position du STAL selon lequel les municipalités seraient une proie facile pour de puissants groupes économiques.

Tout aussi claires sont les remarques faites dans le rapport à propos de la législation sur les services de l'eau qui selon la Cour pénalise les municipalités et les consommateurs et bénéficie aux concessionnaires, confirmant que la logique suivie par les gouvernements successifs a été de consacrer et protéger juridiquement les profits privés.

Éclairant encore est le constat par les auditeurs de la Cour « que la ERSAR[2] n’a effectué que 8 contrôles, ce qui correspond à environ 30% de l'ensemble des concessions, laissant beaucoup à désirer au regard de la nécessité de contrôler les obligations contractuelles des concédants et concessionnaires ».

Compte tenu de tout cela, et bien d’autres choses que cet important et pertinent rapport met en relief, le STAL ne peut que conclure que l'existence de ces contrats démontre bien comment la privatisation ouvre la porte à toutes sortes de pratiques de corruption au plus haut point dommageables pour l’intérêt public et combien sont illusoires les thèses prétendant que le contrôle par les autorités de surveillance et de réglementation suffit à empêcher les excès et les abus des groupes privés dans la poursuite incessante du profit maximum.

D’ailleurs, il est significatif que cette vérification n'ait été faite que maintenant, 20 ans après la première privatisation des services de l’eau qui a eu lieu à Mafra.

Le STAL considère qu'il est donc inévitable et indispensable d’en finir avec les privatisations / concessions, de créer les conditions de la remunicipalisation des services de l'eau et de l’assainissement privatisés en mettant fin à ces contrats abusifs et illégaux, et de mettre en examen ceux qui doivent l’être.

Lisbonne, 28 Février 2014

La Direction nationale du STAL

[1] Le Tribunal Arbitral est un centre d'arbitrage institutionnalisé par le Ministère de la Justice, il a été mis en place pour résoudre les litiges par des techniques et un ensemble de procédures de médiation-conciliation ou d'arbitrage. C’est une institution spécialisée en matière de propriété et d'immobilier, pour régler les conflits qui concernent par exemple: l'achat et la vente, des contrats de promesse d'achat et de vente, baux, travaux à forfait, garanties, droits réels et autres droits relatifs à des biens immobiliers, services de médiation, d'évaluation et de services de consultation en immobilier. Il se compose d'un corps d'arbitres qui comprend des avocats, des ingénieurs, des gestionnaires, des économistes, des comptables, des psychologues, des professeurs, des administrateurs et autres. Selon la nature de l'affaire en cause, les parties et le tribunal arbitral doivent choisir les arbitres / médiateurs qui interviendront. Ces arbitres, spécialistes dans leurs domaines, seront présents à tous les stades de la procédure arbitrale, ce qui accélère la résolution des conflits (NdT).

[2] ERSAR, Entidade Reguladora dos Serviços de Águas e Resíduos, Autorité de Régulation des Services des Eaux et des Déchets.