Mort annoncée de la gestion communale de l’eau
D’ici à 2020, la France s’apprête à vivre la disparition du modèle historique de gestion communale de l’eau hérité de la Révolution. Les politiques publiques se réorientent vers le « grand cycle » de l’eau et un nouveau modèle de marchés de concession à des entreprises privées. Un big bang dont les enjeux techniques, territoriaux, financiers, environnementaux, et, in fine, politiques sont colossaux.
La simplification du « mille-feuilles territorial » engagée par les lois de décentralisation élaborées puis mises en oeuvre à partir de 2012 — la loi MAPTAM en janvier 2014, puis la création de Grandes régions en janvier 2015, avant la loi NOTRe d’août 2015 — va mettre un terme à plus de deux siècles de compétences communales, avec pour objectif affiché de rationaliser la gestion de l’eau.
C’est la Révolution française qui avait confié aux communes, héritières des paroisses de l’Ancien régime, la responsabilité de l’approvisionnement en eau des populations. Elles s’en acquitteront en créant des fontaines publiques, puis en contrôlant les porteurs d’eau dans les villes, avant le développement des premiers réseaux de distribution. La création de syndicats avec des communes voisines sert ensuite à mutualiser les investissements nécessaires à la réalisation des réseaux et ouvrages.
« Ce développement des réseaux dans la seconde moitié du XIXe siècle va poser la question de leur financement, par exemple en faisant payer l’eau aux usagers. Mais cette solution se heurte à un autre acquis de la Révolution : le principe de liberté recouvre non seulement les libertés individuelles et civiques, mais aussi la liberté du commerce et de l’industrie. Il est alors interdit aux communes d’avoir une activité économique ou commerciale, donc de faire payer les usagers », souligne le politologue Pierre Bauby.
Pour surmonter l’obstacle, certaines villes (Lyon, Bordeaux…) délégueront la construction des réseaux et la gestion des services à des entreprises privées, donnant naissance à une autre exception française : la délégation de service public (DSP), illustrée par la création de la Générale des eaux (1853), puis de la Lyonnaise des eaux et de l’éclairage (1880). D’autres, comme Paris, ne délégueront que les activités de relève, de facturation et d’encaissement.
« Le carcan se desserrera au début du XXe siècle, lorsque le Conseil d’État autorisera les activités économiques des communes en cas de carence ou du moins “insuffisance de l’initiative privée”, et pour répondre à un intérêt public local », précise Pierre Bauby. Des syndicats intercommunaux se développeront selon les situations, l’accès à la ressource, les souhaits des élus, allant jusqu’à l’échelle départementale (Orne, Manche, Charente-Maritime, Lot-et-Garonne, Morbihan, Landes), et même au-delà dans le cas de l’Île-de-France, avec la création en 1923 par les édiles de la banlieue rouge du puissant Syndicat des eaux d’Île-de-France (SEDIF), inexpugnable bastion de Veolia qui en a fait sa vitrine à l’international.
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