France, la mise à mort des agences de l’eau

Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, a adressé le 1er juin dernier à une centaine de haut-fonctionnaires, d’élus et à quelques associations un rapport de 543 pages commandé à l’automne 2017 à l’Inspection des finances (IGF) et au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Sous couvert de prendre acte des bouleversements introduits par la loi sur la biodiversité votée sous le précédent quinquennat, ce rapport propose en réalité un véritable démantèlement des Agences telles qu’elles ont fonctionné depuis un demi-siècle. Leurs redevances, plus de deux milliards d’euros par an, qui vont continuer à être prélevées sur la facture d’eau de tous les Français, seront en grande partie détournées de leur objectif pour financer d’autres politiques. Une nouvelle police de l’eau et de la nature sera confiée… soit aux Préfets, soit aux garde-chasses de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), tandis que cinq scénarios de fusion-absorption des Agences avec d’autres organismes sont également proposés.

La démarche s’inscrit dans un calendrier marqué par d’autres échéances : la tenue “d’Assises de l’eau”, d’abord pour le petit cycle, actuellement en cours, puis le grand cycle à la rentrée prochaine, et qui ont été mises en place pour camoufler le coup de force en cours. L’élaboration puis l’adoption du XIème Programme des Agences de l’eau avant la fin de l’année, et enfin le Projet de loi de finances (PLF), 2019, à l’occasion duquel la ponction de 500 millions d’euros sur le budget des Agences, déjà opérée en 2018, sera non seulement confirmée, mais aggravée. Enfin, avant l’été, le coup de force opéré à l’Assemblée, qui va selon toutes probabilités alourdir la facture d’eau des Français de deux milliards d’euros supplémentaires pour financer la gestion des eaux pluviales urbaines, tour de passe-passe scandaleux que nous n’avons cessé de dénoncer… dans l’indifférence générale.

Toute l’affaire, nous diront certains commentateurs, trouverait son origine dans un arrêt du Conseil d’Etat, qui a considéré au début des années 2000 que les redevances des Agences n’étaient pas des “redevances pour service rendu”, entrant dans la catégorie de la “fiscalité affectée” (à un usage précis, ici stricto sensu les politiques de l’eau), mais des "impositions de toute nature", autrement dit des impôts que l’état peut utiliser à sa guise.

Cette dernière analyse a depuis lors été utilisée ad nauseam par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), de la Cour des Comptes, et bien sur Bercy, qui entendaient “renationaliser” les redevances, dont l’utilisation au profit des différents usagers de l’eau, collectivités locales, industriels et surtout agriculteurs, a fait l’objet de nombreuses critiques, dont certaines étaient parfaitement fondées, notamment l’absence de transparence du système et la position dominante qu’y occupaient différents acteurs, à l’exemple du monde agricole qui a pu par exemple, et entend bien continuer à le faire, faire financer sur fonds publics des infrastructures d’irrigation, contestées par une grande partie de la société.

Ceci dit, que va-t-il se passer désormais ? L’utilisation par les Agences des plus de deux milliards d’euros de redevances annuelles, perçues à plus de 90% auprès des seuls usagers domestiques de l’eau et de l’assainissement, tous les Français, se répartissait en trois blocs : les dépenses de fonctionnement, le financement des projets des collectivités locales dans le petit cycle de l’eau : réseaux, usines d’eau potable ou stations d’épuration…, et enfin le financement des actions de préservation de la ressource dans le cadre du grand cycle de l’eau. Le tout enserré par les régles de la “fongibilité asymétrique” : je peux imputer un surcroit de dépenses du volet 1 sur le volet 2, puis du volet 2 sur le volet 3, mais pas l’inverse.

Or il va désormais falloir faire des choix, drastiques, puisque le hold-up de l’Etat sur le budget des Agences, 500 millions d’euros au total cette année, ampute la capacité d’investissement des Agences de 25 à 30%.

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