En Ombrie, des centaines d'autoréductions de la facture d'eau !
Deux ans après le référendum des 12 et 13 juin 2011, ce sont des centaines de citoyens de l'Ombrie, usagers du service de l'eau et de l'assainissement, qui autoréduisent leurs factures d'eau, déduisant l'odieuse Rémunération du Capital Investi (RCI), le profit des gestionnaires privés, qui était garanti par la loi et qui a été abrogé par le référendum. La victoire du référendum de juin 2011 a donné au Comitato Umbro Acqua Pubblica une arme supplémentaire pour lutter contre la privatisation de l'eau!
Le Comitato Umbro Acqua Pubblica est né en 2006, en appui au Comitato Tutela Rio Fergia de Boschetto[1], mobilisé contre la multinationale Rochetta Spa qui embouteille l'eau des Apennins de l'Ombrie, épuisant les nappes phréatiques, asséchant les torrents de la zone et mettant en péril les ressources qui alimentent en eau une grande partie de la région. A partir de là, la mobilisation contre la privatisation du SII[2], le service de l'eau et de l'assainissement, s’est faite de manière naturelle.
Avec beaucoup d'autres comités dans toute l'Italie, le Comitato Umbro Acqua Pubblica a ainsi recueilli plus de 430000 signatures dans tout l'Italie, pour présenter une proposition de loi d'initiative populaire au parlement italien. Proposition de loi que les députés se sont bien gardés de discuter, en la laissant pourrir dans un tiroir jusqu'à la fin de la législature.
Pendant ce temps, une autre concession de prélèvement d’eau qui venait d'être attribuée par la région de l’Ombrie à la Rochetta Spa, était rejetée par le Tribunal Administratif Régional (TAR) de l'Ombrie, qui donnait raison aux 11 recours présentés par le Comitato Tutela Rio Fergia.
Parallèlement, le Comitato Umbro Acqua Pubblica présentait à la mairie de Pérouse, chef lieu de la région, une proposition de délibération populaire soutenue par plus de 1500 signatures des citoyens de la ville. Et la majeure partie de la majorité du conseil municipal, (Parti Démocratique, centre gauche, socialistes) alliée à l'opposition de droite, rejetait la volonté populaire de mettre l'eau en dehors du marché.
2 mois plus tard, démarrait au niveau national, la récolte des signatures pour le référendum sur l'eau. Plus de 1,4 millions de citoyens italiens signèrent pour le référendum en moins de 3 mois! Contre l'avis de tous les partis politiques de l'époque.
Le 12 et 13 Juin 2011, 28 millions d'italiens (57%) se rendirent aux urnes et 97% d’entre eux votèrent contre la privatisation obligatoire du service de l'eau et de l'assainissement et abrogèrent la Rémunération du Capital Investi (RCI), qui assurait un profit de 7% garanti par l'Etat sur les investissements faits par les gestionnaires. En réalité, sur la province de Pérouse, le profit correspondait à 14,35% en 2011 et à 15,82% en 2012, appliqué sur les factures en plus du recouvrement des coûts de gestion du service.
Après la victoire du référendum qui avait abrogée la RCI de la tarification de l'eau, la réduction de la facture devait avoir lieu dans toute l'Italie à partir du 21 juillet 2011, date de publication du résultat du référendum dans le journal officiel.
Mais le gouvernement et surtout les maires des municipalités continuèrent comme si de rien n'était, comme s’il n'y avait eu aucun référendum. Les usagers ont continué à payer le profit élevé prévu par les plans industriels, de manière complètement illégal; la volonté populaire exprimée par le référendum a été complètement ignorée.
La réponse des citoyens/usagers à ce manque total de démocratie ne s'est pas faite attendre et sur tous les territoires nous avons commencé la campagne dite “Obbedienza Civile”, où nous obéissons à la loi issue du référendum en pratiquant de manière autonome “l'autoréduction” de la facture d'eau.
En Ombrie, nous avons commencé l’autoréduction en novembre 2011, en recalculant la facture sans la RCI, et en enlevant des factures cette partie non exigible depuis le référendum. Comme le demande le “contrat de service” du gestionnaire, nous contestons les factures par une lettre de réclamation dans laquelle nous indiquons ne pas payer la partie qui n’est plus exigible.
Après plusieurs menaces de coupure d’eau de la part du gestionnaire Umbra Acque Spa, les citoyens de l'Ombrie demandèrent à rencontrer le préfet pour dénoncer l'abus de pouvoir exercé par le gestionnaire, qui continuait à encaisser la RCI dans la facture, avec l'appui des maires. Fin janvier 2013, un avis du Conseil d'Etat confirmait que les gestionnaires allaient contre la loi en continuant à percevoir la RCI malgré le référendum. Devant le Préfet de Pérouse, le gestionnaire fut obligé de reconnaître que, même si le Comité n'avait pas raison... il n'avait cependant pas tous les torts, et donc le gestionnaire a dû suspendre les coupures d’eau.
Umbra Acque Spa est une société à 60% propriété des communes des ATI[3] 1 et 2. Les 40% qui restent sont privés et appartiennent à ACEA Spa qui s'occupe de toute la gestion du service. ACEA Spa est elle-même à 50% propriété de la mairie de Rome et à 49% propriété de Suez et Caltagirone, un célèbre et puissant constructeur immobilier de Rome! La gestion du service a pour unique objectif d'encaisser le maximum de profit, les coûts restant à la charge des usagers et des communes, alliées du gestionnaire.
Lors du passage en gestion privée en 2002, Umbra Acque Spa a récupéré toutes les infrastructures, les stations d’épuration et les réseaux, que les mairies avaient construit avec l'argent des citoyens et avec des prêts bancaires qui restent encore à rembourser. Les versements correspondants au remboursement du prêt sont payés par la facture des usagers pour toute la période du prêt qui courre jusqu'en 2027. Par conséquent, Umbra Acque Spa doit reverser ces montants aux mairies sur lesquelles pèse la dette bancaire. Depuis 2012, Umbra Acque Spa ne reverse plus rien aux mairies, alors qu'elle continue d’encaisser les versements des usagers qui paient ainsi 2 fois: une 1° fois comme usagers à travers la facture et une 2° fois comme citoyens à travers les taxes communales.
L’assainissement est une autre source de profit pour Umbra Acque Spa. Une sentence du tribunal a décrété en 2008 que les usagers qui n’ont pas accès à l'assainissement collectif, ou qui se chargent individuellement de leur assainissement, ne doivent pas payer la part assainissement de la facture. En outre, un Décret Ministériel ordonne que celui qui ne bénéficie pas de l’assainissement collectif doit être remboursé des dix dernières années de la part assainissement de la facture encaissée par le gestionnaire. En 2009, Umbra Acque Spa a obtenu des maires un financement particulier pour ces remboursements; mais le remboursement n'est pas automatique et il est effectué seulement si les usagers qui y ont droit le demandent avant le 15 octobre 2013. Le Comité se mobilise depuis le début de l’année 2013 pour informer la population et dénoncer cette situation. Cependant, des milliers d'usagers n’obtiendront jamais ces remboursements qui resteront dans les poches d'Umbra Acque Spa.
Les investissements sont aussi un sujet épineux. Umbra Acque Spa n'a jamais achevé les travaux programmés dans le plan industriel, y compris ceux qui ont bénéficié de fonds publics. Elle est en grande difficulté financière et constamment à la recherche de liquidités. Par exemple, elle a augmenté le dépôt de la caution et elle est passée d'une facturation trimestrielle à une facturation mensuelle; elle oblige aussi les usagers à installer des compteurs à leur frais à la sortie des puits privés pour leur faire payer une part fixe et l’assainissement, même si l'eau sert à arroser le jardin potager.
Il y a bien sûr appel à la sous-traitance comme pour le relevé des compteurs confié à une entreprise liée à un membre du conseil d'administration et dans laquelle sont aussi présents des conseillers municipaux, ses complices.
Umbra Acque Spa est une société qui s'occupe d’encaisser les factures, capitaliser et distribuer des dividendes aux actionnaires mais qui ne veut rien investir. Pendant une audition en commission régionale sur la préservation de la ressource, la société a affirmé que les 45% de perte d'eau sur les réseaux ne sont pas un problème qui la concerne, que les travaux sur les réseaux se font seulement avec des fonds publics et qu'elle attendra 10 ans pour construire les stations d'épuration manquantes et agrandir celles qui en ont besoin et cela aussi à l’aide de fonds publics.
Le gouvernement Monti a chargé l'AEEG[4] de changer la méthode de tarification de manière à contourner la volonté populaire exprimée lors du référendum et continuer à favoriser le lobby des gestionnaires privés.
L'AEEG a consulté les gestionaires de toute l'Italie et introduit toutes leurs requêtes: prise en compte des pertes antérieures, remplacement de la “Rémunération du Capital Investi” par les “Honoraires Financiers”, introduction d’une nouvelle composante dans la facture appelée “Fonds pour nouveaux investissements”, sans indiquer son usage et qui transforme l’eau dont l’accès est un droit humain fondamental en “marchandise vendue en gros”.
Des recours au TAR contre l’escroquerie de l’AEEG, qui annule complètement le référendum et pousse à la privatisation du SII, ont été déposés entre autres par le Forum italiano dei movimenti per l’acqua et la mairie d’Aprilia.
Le 30 avril dernier, l'Assemblée des maires de la moitié des communes du nord de l'Ombrie ont voté, eux aussi, comme dans presque toute l'Italie, une délibération qui applique la nouvelle méthode de tarification transitoire de l'AEEG. Cette nouvelle méthode consiste à appliquer un facteur Ə de 2,20% sur la facture en vigueur en 2012, qui sera encaissé de manière rétroactive. Pour 2013, le facteur Ə est de 7,83% et entraîne un profit de 22%. Le Comitato Umbro Acqua Pubblica a refusé ce diktat de la part des maires et a déposé lui aussi un recours devant le TAR de l'Ombrie pour annuler cette délibération. En attendant, les citoyens/usagers continuent à pratiquer l'autoréduction de leur facture, ignorant les menaces de coupure d'eau que continue à leur envoyer Umbra Acque Spa.
L'eau doit être mise hors marché, en dehors des entreprises capitalistes et le SII doit être un service public sans logique de profit qui doit garantir avant tout la soutenabilité pour les générations futures. Le SII doit être géré avec la participation des citoyens/usagers et en accord avec les collectivités locales.
[1] Comité de Défense de la rivière Fergia de Boschetto (Comitato Tutela Rio Fergia de Boschetto). Le hameau de Boschetto est traversé par la rivière Fergia.
[2] Service Hydrique Intégré (Servizio Idrico Integrato)
[3] L’ATI (Ambito Territoriale Integrato) correspond à un regroupement de communes.
[4] L’AEEG (Autorità per l'Energia Elettrica e il Gas) est l'agence en charge de la régulation de la concurrence et des prix dans le domaine de l'électricité et du gaz.