Note sur la situation de Canal Gestion S.A.
Traduction en français d'un article de la Plateforme contre la privatisation du Canal Isabel II
La société anonyme s'endette, le service public se dégrade, tandis que les actionnaires augmentent leurs dividendes.
En juillet et août 2014, certains médias ont rapporté que la société anonyme Canal d'Isabelle II Gestion (auparavant Canal Gestion S.A.) était en train de réaliser des enquêtes pour faire appel au marché de la dette, par le biais de l’émission d'obligations, sans que soient connues les causes ni les objectifs de ce financement. Au début de septembre, 5 Días annonçait que le processus d'émission d'obligations était très avancé aussi bien pour Eaux de Barcelone (Agbar) que pour Canal Gestion. Dans le cas du Canal, la Banque de Santander, BBVA, Société Générale, Caixa Bank et la britannique HSBC avaient été contactés. Le périodique commentait l'utilisation de cette forme de financement, comme un moyen de diminuer la dépendance au financement bancaire. Une fois de plus, Canal Gestion est en train de réaliser une opération de grande envergure, qui peut avoir une incidence négative sur le futur de la société, avec une opacité totale et sans que l'Assemblée de Madrid n'en ait connaissance, ni bien sûr les citoyens.
Face à cette situation, il convient d’analyser si la situation actuelle de Canal Gestión exige la recherche de financement externe, alors que le chiffre d'affaires a augmenté dans les années 2012 et 2013 de 3,7 % (la société anonyme a été constituée en juillet 2012) et que les résultats (bénéfices) après impôts ont augmenté de 43,2 %. Des 368,9 millions d'euros de bénéfices obtenus dans cette période, il a été distribué en dividendes entre les actionnaires 280,0 millions d'euros, 84 % du total. Cela veut dire que, indépendamment du fait que les actionnaires soient en réalité publics, il a été soustrait un pourcentage très élevé des bénéfices de Canal Gestion pour des fins éloignées du cycle intégral de l'eau et de la pérennité même de la société. Comment est-il possible de distribuer des dividendes multimillionnaires, quand de l'autre côté on recherche du financement pour la société anonyme elle-même?
La gestion actuelle de Canal Gestion S.A.
La Plateforme contre la privatisation du Canal Isabel II a réalisé une étude de l'évolution de la gestion du Canal pendant la période 2004-2013, temps suffisamment représentatif pour déterminer les tendances générales, retenant spécialement la période 2012-2013 où se constitue Canal Gestion S.A. Pour analyser la gestion, on a utilisé des indicateurs techniques, salariaux, économiques et financiers. L'étude peut être consultée sur la page Web de la Plateforme, dont un résumé est présenté ci-après :
a) Tendance à la diminution de la demande en eau. - La population desservie s'est stabilisée ces dernières années, de telle sorte que la population approvisionnée dans la Communauté de Madrid en 2013 est la même qu'en 2008, date de début de la crise (6,7 millions d'habitants). Au contraire, la consommation d'eau diminue, spécialement dans la période 2012-2013, malgré que 2013 fut une année relativement humide, situation qui disqualifie totalement le principal argument du PP (Parti Populaire) pour la privatisation du Canal. Il n'est PAS nécessaire de réaliser de grands travaux d'adduction. Il n'y a PAS d'augmentation de population et il n'y a PAS d'augmentation de la demande en eau.
b) Réduction des frais de personnel. - Depuis 2009, le nombre de salariés du Canal s'est stabilisé entre 2280 et 2320. Cependant le pourcentage de contrats à durée limitée va augmentant jusqu'à atteindre en 2013 30 % du personnel, avec la circonstance aggravante que 50 % des contrats à durée limitée sont souscrits sous la modalité de contrats de stage. Les frais de personnel ont évolué comme indiqués dans le tableau suivant, diminution régulière depuis qu'a été approuvée la privatisation du Canal (2008-2011) et forte diminution depuis qu'a été constitué Canal Gestion S.A. (2012-2013).
FRAIS PERSONNEL |
2004-2008 |
2009-2011 |
2012-2013 |
Variation moyenne annuelle (%) |
7,61% |
-0,10% |
-6,25% |
Depuis la création de Canal Gestion, il a été mis en oeuvre une politique agressive de réduction des coûts du travail, à travers un processus de déqualification et de dégradation des ressources humaines, qui commence déjà à influer sur le fonctionnement de la société et qui à court terme aura des répercussions sur la qualité du service. Parmi les mécanismes les plus importants utilisés pour réduire les dits coûts on remarque: (i) le maintien de deux catégories de travailleurs distinctes avec des droits différents: le personnel sous CDI et le personnel sous CDD, embauché selon les conditions minimales de la convention du secteur, avec des salaires bas et des droits réduits; (ii) Le gel des salaires imposé aux fonctionnaires qui touche tout le personnel du Canal; (iii) Le gel des droits du personnel sous CDI sans possibilité réelle de promotion; (iv) L'application de contrats temporaires pour 100 % des nouvelles embauches (qui dépassent difficilement une durée de deux ans), 50 % desquelles étant sous la forme de stages et (v) l'externalisation de tâches réalisées par des salariés du Canal.
c) Bénéfices élevés et diminution des investissements et des frais d'exploitation. - Le chiffre d'affaires et les résultats (bénéfices) ont été en croissance sur toute la période 2004-2013, bien que pendant la période de fonctionnement de Canal Gestion (2012-2013) ils ont eu un comportement singulier. Le chiffre d'affaires a augmenté de 3,7 % malgré la baisse de la demande (suite sans doute aux augmentations de tarif de l'eau qui se sont produites ces deux années-là), pendant que les bénéfices se sont accrus de façon spectaculaire de 43 %. C'est dû, principalement, aux réductions des frais de personnel, déjà expliquées et à la diminution des coûts d'exploitation et d'investissements, ainsi que le montre le tableau suivant.
VARIATION MOYENNE ANNUELLE (%) |
2004-2008 |
2009-2011 |
2012-2013 |
Chiffre d'affaires |
17,51% |
1,37% |
3,69% |
Coûts d'exploitation |
14,80% |
1,86% |
-1,98% |
Investissements totaux |
83,43% |
20,57% |
-34,07% |
Investissements corrigés |
33,24% |
-1,21% |
-15,10% |
La chute libre des investissements est une mauvaise nouvelle et contredit le Programme Marco qui impose à Canal Gestion de garantir l'entretien et l'amélioration des infrastructures, ce que faisait le Canal avant sa conversion en société anonyme. Il faut savoir que les investissements constituent le facteur fondamental pour le maintien d'un service de qualité, par l'entretien, le renouvellement, l'amélioration et l'agrandissement des infrastructures de distribution, assainissement, épuration et réutilisation. La diminution des frais d'exploitation est également préoccupante car elle va sans doute entraîner un plus mauvais fonctionnement du service et un relâchement dans les contrôles de qualité.
Dans le tableau précédent, on retrouve deux types d'investissements, les totaux et les corrigés. Les premiers incluent des données qui ne sont pas à proprement parler des investissements, comme les droits d'exploitation de l'assainissement (926 millions d'euros) et les droits d'exploitation de la réutilisation des eaux épurées (227 millions d'euros) de la Municipalité de Madrid. Dans les investissements corrigés, on n'a pas tenu compte de ces données, afin que les variations annuelles moyennes soient réellement comparables tout au long de la période 2004-2013.
d) L'endettement de Canal Gestion S.A. - La dette de Canal Gestion s'élève au montant non négligeable de 1168 millions d'euros, bien qu'il faille signaler qu'une bonne partie soit due au "cadeau" que la Communauté de Madrid a fait à la Municipalité quand elle était dirigée par Gallardon, pour la sauver de la faillite, en faisant obligation au Canal d'acheter en 2006 les droits d'exploitation de l'assainissement, de l'épuration et de la réutilisation des eaux épurées, qui comme il a été dit dans le paragraphe précédent, représente un coût total de 1223 millions d'euros. Cet achat, dont les paiements ont été réalisés à travers des crédits bancaires, s'est traduit par un accroissement de la dette de 200 millions en 2005 à 1156 millions en 2011, chiffre du même ordre de grandeur que l'endettement actuel. Il faut souligner que la plus grande partie de la dette actuelle est bancaire et à long terme, ce qui permet d'y faire face dans de meilleures conditions.
Nous attirons l'attention sur le fait que les fonds de roulement ont été négatifs dans la période 2012-2013 (-205 et -235 millions d'euros respectivement), sans que les bons résultats générés par l'entreprise aient été destinés à réduire la dette, sinon à répartir généreusement des dividendes entre les actionnaires. Indépendamment du fait que cette pratique soit mise en question par plusieurs économistes consultés, qui considèrent que maintenir les fonds de roulement négatifs peut affecter l'équilibre financier de la société, gérer les fonds de roulement au moyen de crédits, approuvés dans les budgets régionaux respectifs de la Communauté de Madrid, a des coûts financiers que l'on pourrait éviter.
Objectif de Canal Gestion S.A. : maximiser les bénéfices coûte que coûte
La situation exposée dans le paragraphe précédent est une conséquence du virage mercantile évident de Canal Gestion S.A. et elle est conforme aux plans stratégiques de la Communauté de Madrid, dans sa course folle vers la privatisation, de maximiser la valeur de l'entreprise, en faisant croître les bénéfices des actionnaires à tout prix pour rendre plus appétissante l'entrée de capital privé dans la société. Cet objectif qui se retrouve sans ambages dans les comptes annuels et dans les rapports de gestion de la société anonyme, se traduit par des mises en demeure très agressives sur la réduction des coûts et l'augmentation des marges de rentabilité, incompatibles avec les objectifs basiques du service public (qualité dans la prestation du service, efficacité sociale et durabilité environnementale).
Les coupes dans les frais de personnel, les investissements et les coûts d'exploitation ainsi que le maintien d'un degré élevé d'endettement de la société, sans disposer de fonds de roulement qui assureraient les imprévus du futur, sont en train de mettre en danger la pérennité de la société elle-même et la qualité du service rendu.
Est-il nécessaire de recourir au marché financier dans la période actuelle ?
En premier lieu, Canal Gestion S.A. n'a pas informé des nécessités qui la poussent à accéder au marché financier, pour autant que l'on connaisse les objectifs qu'elle vise. Cette attitude opaque est irresponsable et rend impossible un débat institutionnel et citoyen sur les diverses alternatives possibles, en cas de nécessité de sources de financement.
D'autre part, d'après les données dont nous disposons, il n'est pas crédible que le nouvel endettement ait pour objectif de financer les travaux qui "ont motivé", selon le PP, le processus de privatisation en 2008. La paralysie démographique de Madrid, fruit de la crise et la chute de la demande actuelle ont démontré que le plan d'augmentation du nombre de réservoirs était seulement un toast porté aux entreprises du batiment. Quand aux travaux dérivés de l'application de la Directive Cadre sur l'Eau, ceux-ci doivent se réaliser dans le cadre du Plan National de Qualité des Eaux, en vigueur effectivement, qui propose des formules de financement spécifiques. Pour cet objectif, le Gouvernement de la Communauté de Madrid n'a rendu public aucun Plan où seraient établis les interventions nécessaires, leur valorisation économique ni les formes distinctes de son financement. De plus, son urgence n'apparaît pas crédible, alors que depuis 2008, année où a été approuvée la Loi 3/2008 par laquelle commence le processus de privatisation du Canal d'Isabelle II, jusqu'à cette date, on a dégagé des bénéfices d'une valeur de 881 millions d'euros, sans que l'on ait consacré un seul centime à couvrir les soi-disant besoins.
Une fois éliminée la nécessité de nouvelles infrastructures, la motivation de s'endetter ne peut se comprendre que dans le cadre de la poursuite de la stratégie actuelle de privatisation de Canal Gestion S.A., dans sa course folle à l'accroissement des bénéfices des actionnaires, au prix de l'endettement de la société jusqu'à un niveau insupportable. Avec lui, on ferait d'une pierre deux coups, attirer les investisseurs privés, étant donné les fortes perspectives de gain et justifier la privatisation de la société à cause de son fort endettement.
Le choix d'obligations, comme moyen de financement, peut être logique du point de vue du processus de privatisation du Canal, étant donné que les acheteurs potentiels de ce type de dette, les fonds d'investissement, sont les mêmes qui pourraient plus tard acheter les actions du Canal. Cependant, du point de vue de l'intérêt général, cette option soulève beaucoup de doutes; alors que la dette bancaire peut se restructurer d'une manière flexible si nécessaire, compte-tenu de l'importance entrepreneuriale du Canal, les obligations quant à elles constituent un moyen de financement plus rigide, régulé d'une main de fer au niveau international.
La Plateforme contre la Privatisation du Canal d'Isabelle II dénonce la stratégie suivie par le PP pour Canal Gestion S.A. de maximiser les bénéfices des actionnaires en coupant dans les frais de personnel, les investissements et les coûts d'exploitation, au détriment de la qualité du service et de pérennité de la société. La plateforme alerte la population madrilène sur les conséquences négatives que peut avoir l'opération d'endettement de la société à travers l'émission d'obligations, dont les objectifs sont inconnus de l'Assemblée de Madrid elle-même et dont les conséquences seraient un endettement insupportable et la poursuite du processus de privatisation. La Plateforme exige de Canal Gestion S.A. transparence et information sur ses interventions. Enfin la Plateforme appelle les organisations politiques et citoyennes à lutter par tous les moyens possibles contre cette violation.
Madrid, octobre 2014.
Plateforme contre la privatisation du Canal Isabel II