Contribution de l’European Water Movement à la Commission indépendante irlandaise sur l’eau
Le gouvernement irlandais a créé une Commission indépendante sur l'eau. Cette commission a organisé une consultation sur les redevances d'eau qui s'est terminée le 9 septembre 2016. Voici la contribution de l'European Water Movement à cette consultation:
Cher Mr Kevin Duffy,
L’European Water Movement est un réseau ouvert, participatif et pluraliste de mouvements, organisations sociales, comités et syndicats au niveau européen qui vise à renforcer la reconnaissance de l'eau comme un bien commun et l'accès à l'eau et à l'assainissement comme un droit universel fondamental, un élément essentiel pour tous les êtres vivants. En ce sens, les membres de l’European Water Movement ont suivi de très près le débat sur les redevances d'eau en Irlande. Nous sommes profondément préoccupés par la façon dont la Troïka a imposé des règles qui menacent le droit à l'eau et à l'assainissement et qui conduisent à privatiser la gestion de l'eau à travers l'Europe. Par conséquent, nous aimerions partager avec vous quelques réflexions.
Nous nous félicitons de la création de la Commission indépendante en Irlande et nous souhaitons que des efforts similaires soient effectués au niveau européen.
Nous rejetons toute tentative des institutions internationales comme le FMI à pousser les pays à privatiser les services publics de base. A chaque fois, que l’ensemble des citoyens ont été consultés, ils ont montré qu'ils soutenaient un système de gestion de l’eau démocratique, public et participatif, comme l’ont montré l'Uruguay, l'Italie, Berlin, Thessalonique et bien d'autres référendums et consultations publiques comme la première initiative citoyenne européenne.
Nous ne croyons pas qu'il y ait un système universel de gestion de l'eau qui puisse répondre à tous les situations; les solutions doivent être locales et communautaires. Toutefois, les critères que tous les systèmes ont besoin d'appliquer sont fixés à l'échelle internationale conformément à la Convention des Nations Unies sur le droit humain à l'eau.
À cet égard, nous croyons que le « recouvrement intégral des coûts » fixé comme principe directeur du financement des services intégrés de l'eau, qui a été introduit en Europe, a besoin d'être changé ; au contraire, c’est l’impôt qui devrait garantir l'accès à l'eau et l’investissement dans les infrastructures.
Nous croyons que la reconnaissance et la mise en œuvre du droit humain à l'eau potable et à l'assainissement est nécessaire à la vie. L'accès à l'eau comme droit humain universel devrait être inclus dans la constitution de chaque Etat membre, et dans les principes et actes de l'Union européenne. Cet objectif a été soutenu par près de deux millions de citoyens européens à travers la première initiative citoyenne européenne couronnée de succès, qui portait sur la mise en œuvre du droit à l'eau. Toute nouvelle entreprise de service public créée doit avoir les mêmes lignes directrices, comme c’est le cas en Europe à Paris, Medina Sidonia ou Naples.
Nous croyons que l'eau ne doit pas être considérée comme une marchandise, mais comme un bien commun. Comme les autres éléments naturels, l'eau est fondamentale pour l'équilibre des écosystèmes et pour la survie de la planète. Sa gestion doit préserver les masses d'eau et donc doit être exclue des règles du marché [des règles du marché intérieur européen pour être précis]. Garder le cycle de l'eau en dehors des règles du marché permettra d'assurer une approche des droits humains fondée sur la prise en compte des besoins des citoyens et de l'environnement.
Nous avons vu en Europe comment le prix de l’eau conduit à sa marchandisation, ouvrant la voie à la privatisation des services. Imposer des redevances d’eau est un risque, même si le gouvernement et la société civile s’opposent à la privatisation, comme nous l'avons vu au Portugal ou en Grèce, où la Troïka tente d’imposer la privatisation de services publics de l’eau parfaitement viables d’un point de vue économique.
La marchandisation de l'eau et la privatisation ont échoué à donner un accès équitable à l'eau dans le monde entier. Plus de 200 villes ont repris le contrôle public sur la gestion de l'eau au cours des deux dernières décennies, comme Paris, Budapest, Buenos Aires, Kuala Lumpur ou Maputo. Dans beaucoup de ces villes, la privatisation avait obéi aux conditions imposées par les institutions financières internationales et les investisseurs étrangers. La tendance en Europe est de récupérer le contrôle public de l'eau. Toute tentative sérieuse de récupération du contrôle public de l’eau exclus immédiatement la possibilité de profit pour des actionnaires.
L’European Water Movement estime que c’est le système le plus progressif d'imposition qui est celui qui aide à éviter la pauvreté de l'eau. Il est essentiel que les ménages ne subventionnent pas indirectement le commerce en gros de l'eau, un phénomène très fréquent de nos jours.
Nous croyons que la pression pour faire des économies d'eau devrait être mise sur les principaux usagers de l'eau, qui sont l'industrie et les grandes entreprises agricoles, et non pas sur les ménages.
Toute entreprise de service dans le domaine de l'eau et/ou du cycle de l'eau [collecte et traitement des eaux usées] devrait tendre vers un système de gestion et de propriété public, mais avec un mécanisme participatif et sous contrôle social. La participation des citoyens et des travailleurs dans la gestion des services est une condition nécessaire pour avoir un nouveau modèle de gouvernance des biens communs.
Nous espérons que cette contribution pourra être prise en compte dans le processus de consultation. L'Irlande a le droit de définir son propre modèle de gestion de l'eau et de le défendre au niveau européen lors de la prochaine révision de la directive cadre sur l'eau.