La participation du public dans la gestion des services de l’eau en Europe : Montpellier

L’European Water Movement a demandé à des associations et collectifs, qui ont agi en faveur du retour en gestion publique de leur service local de l’eau, de décrire les mécanismes de participation du public dans la gestion du service (mécanismes mis en place, en cours de mise en place ou souhaités), et d’en analyser les forces et les faiblesses. Dans cet article, l’association Eau Secours 34 présente le cas de Montpellier.

Jusqu'en 2016, la France comptait près de 34 000 services d'eau et d'assainissement. Une réforme territoriale votée en 2014 et 2015, va les diviser par 10. Avec 3500 à 4000 services plus importants, desservant de 15 000 à plusieurs centaines de milliers d'usagers, la question de la participation du public va devenir encore plus fondamentale, puisque les usagers seront davantage éloignés des centres de décision. Il existe donc un risque de dilution de la participation du public, dans un contexte qui va aussi être marqué par la mise en oeuvre de la directive sur l’attribution de contrats de concession.

Le retour en gestion publique du service de l’eau de la métropole de Montpellier

A Montpellier, la gestion de l’eau était déléguée à Veolia depuis 25 ans et le contrat se terminait en 2015.

Suite aux élections municipales de 2014, le nouveau président de la métropole de Montpellier décidait, d’une part d’interrompre l’appel d’offres pour un nouveau contrat de gestion privée lancé par son prédécesseur, et d’autre part de retourner en gestion publique.

Cette décision a été prise dans un contexte politique local très particulier. Le collectif créé par l’association Eau Secours 34 avait organisé une pétition et des votations citoyennes exigeant le retour en gestion publique des services de l’eau et de l’assainissement. Mais le collectif avait aussi fait très fortement pression sur les candidats aux élections municipales et cette pression a été décisive dans le retour en gestion publique (voir renversement de situation). Cela ne se passe jamais comme cela en France. A Paris, le retour en gestion publique du service de l’eau a été décidé par le maire, sans consulter les parisiens qui se désintéressaient du sujet.

Eau Secours 34 a toujours considéré que la gestion publique ne garantissait pas obligatoirement une bonne gestion sociale, écologique et démocratique du service de l’eau. Par conséquent, la bataille de Eau Secours 34 pour le retour en gestion publique a été associée à plusieurs revendications dont la participation effective du public dans la gestion du service.

Dès que la décision du retour en gestion publique a été prise, la métropole de Montpellier a créé un comité de suivi de la mise en place de la régie publique. Ce comité avait pour tâche de donner des avis consultatifs au président de la métropole de Montpellier. Eau Secours 34 avait 2 représentants dans ce comité de 35 personnes (élus, représentants d’associations et de syndicats, personnes qualifiées). Le comité a proposé la création d’une régie publique à autonomie financière et personnalité morale et d’un observatoire de l’eau, comme Eau Secours 34 le souhaitait. Et le président de la métropole de Montpellier a suivi ces avis, comme il s’y était engagé. Ce comité a disparu le 1er janvier 2016 au démarrage de la régie mais l'observatoire de l'eau doit le remplacer.

La participation du public dans la gestion des services locaux de l’eau et de l’assainissement en France

Pour comprendre les mécanismes de participation du public qu’il est possible de mettre en place à Montpellier, il faut décrire brièvement le cadre institutionnel français de la gestion publique des services locaux de l’eau et de l’assainissement, en insistant plus particulièrement sur la gouvernance.

En France, les services locaux de l'eau et de l'assainissement sont des SPIC (services publics industriels et commerciaux). Les SPIC sont l’équivalent des SIEG (services d’intérêt économique général) définis au niveau de l’UE.

La collectivité locale (municipalité, communauté d’agglomération, métropole…) choisit entre la gestion publique ou privée pour les SPIC dont elle a la compétence. La loi autorise 3 modes de gestion publique des services locaux de l'eau et de l'assainissement : 

1- Régie à autonomie financière
La régie à autonomie financière est un EPIC (établissement public industriel et commercial). C'est l'assemblée délibérante de la collectivité locale (conseil municipal, conseil d'agglomération ou conseil métropolitain) qui gouverne la régie (vote du budget, des marchés publics, du prix de l'eau...). C'est le président de l'assemblée délibérante (maire ou président de l'agglomération ou de la métropole) qui est le représentant légal de la régie. La régie peut se doter d'un conseil d'exploitation qui peut être consulté par l'assemblée délibérante avant les votes de celle-ci. Les membres du conseil d'exploitation sont désignés par le président de l'assemblée délibérante. Les membres du conseil d'exploitation sont majoritairement des élus de l'assemblée délibérante mais il peut y avoir aussi des membres issus de la société civile (représentants d’associations d'usagers, d’associations environnementales, personnes qualifiées). 

2- Régie à autonomie financière et personnalité morale
La régie à autonomie financière et personnalité morale est un EPIC (établissement public industriel et commercial). C'est le conseil d'administration de la régie qui gouverne la régie (vote du budget, des marchés publics, du prix de l'eau...). C'est le directeur de la régie (un agent public) qui le représentant légal de la régie. Les membres du conseil d'administration sont désignés par le président de l'assemblée délibérante. Ce sont majoritairement des élus de l'assemblée délibérante mais il peut y avoir aussi des membres issus de la société civile (représentants d’associations d'usagers, d’associations environnementales, de salariés, personnes qualifiées...). Le président de la régie est toujours un élu siégeant à son conseil d'administration.

Il est extrêmement rare que des représentants de la société civile siègent au sein du conseil d’exploitation ou du conseil d’administration. Les exemples connus se comptent en réalité sur les deux doigts de la main. 

3- Société publique locale
La société publique locale (SPL) est une SA à capitaux 100% publics. Il doit y avoir au moins 2 collectivités locales actionnaires de la société. C'est le conseil d'administration qui gouverne la SPL (vote du budget, des marchés, du prix de l'eau...). Les marchés ne sont pas forcément publics ; ils sont le plus souvent des marchés de gré à gré. C'est le président de la SPL qui est le représentant légal de la SPL. Les membres du conseil d'administration sont des élus des collectivités locales actionnaires. Le président de la SPL est un élu siégeant dans le conseil d'administration de la SPL. Il peut y avoir des observateurs issus de la société civile dans le conseil d'administration de la SPL. Mais ces observateurs (appelés aussi censeurs) n'ont pas droit de vote.

Il apparaît donc que la régie à autonomie financière et personnalité morale est la meilleure solution du point de vue de la participation du public.

La collectivité locale peut aussi s’appuyer, mais ce n’est pas une obligation légale, sur plusieurs commissions pour gérer au mieux ses services publics de l'eau et de l'assainissement. Ces commissions émettent des avis consultatifs que l'assemblée délibérante de la collectivité locale peut suivre, ou pas. Elles sont constituées d'élus et aussi parfois de représentants de la société civile désignés par la collectivité locale. La logistique de ces commissions est assurée par les services administratifs de la collectivité locale.

La commission eau et assainissement est consultée pour tout ce qui concerne les services de l’eau et de l’assainissement mais aussi plus largement pour tout ce qui concerne la politique de l’eau. Elle est constituée uniquement d’élus.

La commission de contrôle des services publics locaux (CCSPL) émet chaque année un avis sur le prix et la qualité des services publics locaux. Elle est constituée d’élus et de représentants d’associations d’usagers désignés par la collectivité. Il en existe moins de mille en France.

Une commission de contrôle financier, dont l’existence est prévue par le Code général des collectivités territoriales, pourrait effectuer chaque année le contrôle financier de la gestion du service délégué au privé. Constituée d’élus, elle peut aussi accueillir des personnes qualifiées. On en compte aujourd’hui en réalité moins de 5 pour plus de 30 000 services, ce qui montre le peu de volonté des collectivités locales d'effectuer un véritable contrôle des délégataires privés.

L'observatoire de l'eau est une commission extra-municipale (dans le cas de Paris) ou extra-métropolitaine (dans le cas de Montpellier). Il n'y a aucune obligation à avoir ce type de commission et d’ailleurs il n’en existe quasiment pas. La législation est peu précise à son sujet. A Paris, l'observatoire de l'eau est constitué de 4 collèges (élus, représentants d’associations, représentants du personnel, personnes qualifiées). Il a un secrétariat constitué par le service administratif eau et assainissement de la municipalité qui se charge de la logistique. Il dispose d’un budget annuel mis à sa disposition par la mairie de Paris, d’un montant de 10 000 euros, essentiellement dédié à un site internet. Le président de l'observatoire est issu du collège des personnes qualifiées. Un observatoire de l'eau peut être consulté par la collectivité locale pour toute question concernant sa politique de l'eau; cela va bien au delà des services eau et assainissement : par exemple, gestion du pluvial et du risque d'inondation, préservation de la ressource en eau... Un observatoire de l'eau peut aussi se saisir d'une question qui lui semble importante et soumettre ses conclusions à la collectivité locale. Un observatoire de l'eau se distingue aussi des autres commissions car il permet l'introduction d'un peu de démocratie directe: ses réunions sont publiques et les usagers peuvent participer à certains débats sans être forcément membres de l'observatoire. C'est pour cela que l'observatoire intéresse beaucoup Eau Secours 34.

La participation du public dans la gestion du service de l’eau de la métropole de Montpellier

La métropole de Montpellier a choisi la régie à autonomie financière et personnalité morale comme mode de gestion de son service public local de l’eau.

Le conseil d'administration de la régie des eaux de la métropole de Montpellier est constitué de 20 membres: 14 élus, 4 représentants d’associations dont un pour Eau Secours 34, 1 représentant du personnel, 1 personne qualifiée. Le président de la régie est le maire de Grabels qui a soutenu le collectif que Eau Secours 34 avait créé. La personne qualifiée qui est vice président de la régie faisait partie du collectif. L'absentéisme des élus est très élevé. Mais la composition du conseil d'administration est telle qu'ils sont toujours majoritaires dès que le quorum est atteint, comme à Paris.

La commission eau et assainissement est constituée uniquement d'élus de la métropole de Montpellier et son président actuel est le maire de Grabbels, président de la régie.

Il n'y a jamais eu de commission de contrôle financier à la métropole de Montpellier.

La nouvelle commission consultative des services publics locaux comprend une douzaine de représentants d’associations. Malgré ses demandes régulières, Eau Secours 34 n'a jamais pu faire partie de la CCSPL; nous soupçonnons un blocage de la direction administrative eau et assainissement de la métropole avec laquelle nous avons toujours eu des relations difficiles.

L’observatoire de l’eau va être créé à Montpellier début 2017. Ses membres seront probablement pour la majorité d’entre eux les mêmes que les membres du comité de suivi. Par conséquent, Eau Secours 34 a bon espoir d’avoir au moins un représentant dans le futur observatoire.

En résumé, la participation du public dans la gestion du service de l’eau de la métropole de Montpellier va s’exercer grâce aux 3 mécanismes permis par la législation française : le conseil d’administration de la régie à autonomie financière et personnalité morale, la commission consultative des services publics locaux et l’observatoire de l’eau.

Les limites de la participation du public dans la législation française

La directive cadre sur l’eau demande à ce qu’il y ait une participation du public dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique de l’eau mais sous une forme peu précise et non contraignante. La participation consiste en la consultation et la participation optionnelle à la prise de décision. Il n’y a aucune indication sur comment le public (c’est à dire la société civile) doit être représenté dans les organes de consultation et de décision. La transposition dans la législation française de la participation du public telle que définie dans la directive européenne s’est faite a minima, limitant de facto la portée des mécanismes de participation du public dans la gestion des services locaux de l’eau et de l’assainissement.

C’est la collectivité locale qui décide qui représente la société civile dans le conseil d’administration de la régie à autonomie financière et personnalité morale, dans la commission consultative des services publics locaux et dans l’observatoire de l’eau, ainsi que du poids de la dite société civile au sein des parties prenantes. C’est aussi la collectivité locale qui décide le plus souvent sur quels sujets la société civile doit être consultée et peut participer à la prise de décision. 

La possibilité d’avoir des représentants d’associations d’usagers et d’associations environnementales dans le conseil d’administration de la régie à autonomie financière et personnalité morale est une avancée importante en terme de participation du public. Mais il faut garder à l’esprit que :

  • c’est la collectivité locale qui choisit les représentants associatifs et elle le fait le plus souvent en fonction des liens qu’elle entretient avec ces associations (la plupart de ces associations dépendent des subventions qu’elles reçoivent de la collectivité locale) et non pas en fonction de leur « compétence » ou de leur représentativité ;
  • le nombre de représentants associatifs dans le conseil d’administration est le plus souvent très faible par rapport au nombre d’élus ;
  • certaines décisions qui concernent la régie sont prises par la collectivité locale sans vote de son conseil d’administration (c’est par exemple le cas de décisions qui découlent de l’adoption par la collectivité locale de son schéma directeur de l’eau potable).

Notons que la plupart des décisions prises par la régie après vote de son conseil d’administration, sont des décisions « administratives » sans réels enjeux sociaux, économiques ou environnementaux (par exemple, l’autorisation de signature d’un marché public d’achat de matériel, donnée au directeur de la régie). Les décisions « administratives » sont adoptées à l’unanimité sans qu’il y ait besoin d’en débattre, à la différence du vote annuel du budget, du prix de l’eau, des investissements pour la rénovation et l’entretien des infrastructures.

Un observatoire de l'eau peut pallier en partie aux limites de la participation du public énoncées ci-dessus. Mais il faut pour cela que la collectivité locale joue le jeu, en le consultant régulièrement et en lui laissant une certaine autonomie. Cela n'a pas toujours été le cas à Paris. C'est une des raisons de la démission d'Henri Coing, premier président de l’observatoire parisien de l’eau, intervenue en 2016 sous la présidence de Celia Blauel en charge d’Eau de Paris après le départ d’Anne le Strat. La situation parisienne actuelle ne semble pas s’améliorer. Qu’en sera-t-il à Montpellier ? Nous l’ignorons mais Eau Secours 34 va être très vigilant sur le fonctionnement de l’observatoire de l’eau que va créer la métropole de Montpellier.

Contact: eau34 @ orange.fr