Alerte sur le déficit d’eau dans l’ouest vosgien

Cette note fait un point de situation sur le déficit d’eau dans l’ouest vosgien en mars 2017, et actualise les propositions avancées en raison même de l’éveil des consciences de certains élus et d’une partie de la population. Elle émane de « L’eau qui mord », support informel créé indépendamment des associations du Collectif Eau 88 afin d'appuyer les actions de celui-ci et d’élargir la question du déficit de l’eau dans l’ouest vosgien à celle des alternatives au système qui nous mine.

A. Point de situation en mars 2017

En juillet 2016, nous faisions part des exigences des associations environnementales siégeant à la CLE (Commission Locale de l’Eau) d’Epinal :

  • La destitution de la présidente de la CLE, adjointe de la ville de Vittel, et la destitution de la Vigie de l’eau, structure porteuse, qui sont liées de trop près à Nestlé Waters;
  • Un moratoire sur les autorisations de prélèvement en cours;
  • Une remise à plat des différents scénarios possibles en tenant compte des priorités d’usage (en particulier, économies par les industriels)
  • Que les différentes étapes du SAGE (Schéma d"Aménagement et de Gestion des Eaux) soient rendues publiques et débattues;
  • Par ailleurs, nous sommes en quête de relais et soutiens nationaux (presse, expertise juridique sur la partie « conflit d’intérêt », expertise sur l’extraction et la distribution d’eau…);
  • Une place accrue de la société civile dans la gestion de l’eau et en particulier dans le bureau de la CLE (dont l’élection n’a pas été précédée par une procédure écrite contrairement à toute règle associative depuis la loi de 1901)
  • Un débouché vers une remunicipalisation de l’eau, bien qui doit redevenir un « commun »
  • Une sécurisation des nappes d’eau et de la marque « Vittel » (et de toute autre marque d’ailleurs), empêchant l’industriel de faire ce qu’il fait aux Etats Unis ou ce qu’il a tenté de faire à Vergès (Gard) en voulant emporter la marque « Perrier » ailleurs.

Nos exigences ont été partiellement entendues.

1) Concernant la destitution de la présidente de la CLE et le retrait de la Vigie de l’Eau du dispositif

Le mandat de la CLE arrivant à échéance fin 2016, le Préfet a nommé une nouvelle CLE dont l’ex présidente, conseillère départementale et adjointe au maire de Vittel, fait toujours partie. L’ex présidente ne s’est pas portée candidate à sa réélection mais s’est quand même fait élire (à l’unanimité de son collège) au bureau de l’instance. Par ailleurs, elle a fait son entrée au CODERST (Conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques) des Vosges.

La nouvelle présidente, conseillère départementale d’Epinal, a reconnu à son audition au CESER (Conseil Economique Social et Environnemental Régional) Grand Est (19 janvier 2017) que les conflits d’intérêts dans ce dossier étaient nombreux et qu’il fallait y mettre fin.

Il semblerait que le Procureur de la République, saisi par l’association AntiCOR en juillet 2016, soit bel et bien en train d’instruire l’affaire…

La Vigie de l’eau, terminant son contrat dérogatoire au 31 décembre, n’a pas été renouvelée dans le portage du SAGE. Rappelons que son président n’est autre que l’époux de l’ancienne présidente de la CLE et… accessoirement… cadre dirigeant chez Nestlé Waters. C’est le conseil départemental qui devient le porteur du SAGE rejoignant ainsi des pratiques plus conformes.

2) Concernant le moratoire demandé sur les autorisations de prélèvement

Le Préfet des Vosges a, pour la première fois, le 16 décembre 2016, donné un avis défavorable à une demande de prélèvement supplémentaire dans la nappes des GTI au Syndicat des eaux de Bulgnévillle, au motif que la nappe est en déficit.

On peut s’interroger sur le sens de cette décision. Ne prépare-t-elle pas les transferts d’eau ?

En effet, le préfet répond défavorablement à un syndicat des eaux municipal alors qu’il a toujours donné des autorisations favorables aux industriels, en particulier à la Fromagerie l’Ermitage, régularisée à 650 000 m3 en 2015 alors qu’elle était en infraction depuis au moins 10 ans par rapport à son autorisation initiale de 450 000 m3.

Le préfet compte-t-il sur la pression des élus pour exiger des transferts massifs d’eau vers l’ouest vosgien ?

3) Concernant la remise en cause des scénarios votés en avril 2016 par la CLE

La nouvelle présidente de la CLE a reconnu que rien n’était arrêté et qu’une phase de concertation se déroulerait en février et mars 2017, avec l’appui de consultants extérieurs, afin de trouver des solutions qui puissent satisfaire les parties (des « groupes de travail » ont été constitués; mi-mars, ils ne s'étaient toujours pas réunis!). Elle a reconnu que la première priorité d’usage était bien sûr pour les habitants et non pour les industriels. Les industriels ont validé cette priorité d’usage.

La société Nestlé Waters a souhaité rencontrer les associations environnementales (décembre 2016) et a annoncé un changement de stratégie. Elle ne demande plus de prélèvement supplémentaire mais propose, au contraire, de réduire ses prélèvements dans la nappes des GTI de 250 000 m3 d’ici fin 2017. Mais cette « économie » est pour l’essentiel compensée par des prélèvements dans d’autres nappes…

La fromagerie de Bulgnéville a, quant à elle, une approche plus rustique. Elle refuse de répondre aux questionnements des associations environnementales, arguant que l’entreprise est assez exemplaire dans la gestion de l’eau. Le Collectif Eau 88 s’est donc livré à un petit travail comparatif avec trois autres fromageries produisant des pâtes molles: une dans les Vosges, une en Haute Marne et la troisième en Normandie (voir tableau ci-dessous) :

 

Fromagerie x

Vosges

Fromagerie y

Haute Marne

Fromagerie z

Normandie

 

Fromagerie de Bulgnéville

Fromage fabriqué (t)

8 500

15 000

18 000

12 000

Eau consommée (m3)

280 000

300 000

290 000

650 000

Ratio m3/t

 

33

20

16

54

 

Comme on peut le voir, les bonnes pratiques ne sont pas acquises à Bulgnéville, et les investissements nécessaires n’ont pas été réalisés. Avec un tarif dégressif à la consommation d'eau, la fromagerie n’est sans doute pas incitée à s’améliorer. On sait qu’en Espagne où existe une forte pression sur l’eau, certaines fromageries sont quasiment autonomes en eau (recyclage par ultra filtration, osmose inverse…).

Lors de la dernière réunion de la CLE du 1er février 2017, la présentation de ces chiffres par les représentants des associations a provoqué un tollé chez le représentant de l’Ermitage, soutenu par la DREAL et la présidente de la CLE. L’Ermitage produirait 54 000 tonnes de fromage dont 24 000 à Bulgnéville et non 12 000, et sa production serait la plus économe de toutes les fromageries citées dans ce comparatif!

Mais aucun chiffrage officiel, écrit, n’est venu confirmer ces nouveaux dire de la fromagerie… Les chiffrages officiels, réclamés à plusieurs reprises par les associations, restent toujours inaccessibles. De même qu’il est impossible d’obtenir des éclaircissements sur les chiffrages souvent contradictoires relatifs aux prélèvements et à l’embouteillage d’eau par Nestlé! Et ce en raison du secret fiscal ou commercial. Force est de constater que les structures de l'Etat chargées du contrôle des autorisations ne disposent pas, elles non plus, des chiffres permettant ce contrôle.

4) Concernant notre demande que les différentes étapes du SAGE soient rendues publiques et débattues

Personne ne montre beaucoup d’empressement dans ce sens; c’est pourquoi le Collectif Eau 88 organise des conférences publiques à travers le département. On constate que même les élus des syndicats des eaux ne sont pas au courant de la situation alors que certains maires s’apprêtent à vendre de l’eau en l’acheminant sur Vittel à des distances de 30 à 50 km. Le principal média, Vosges matin, s’il relaye quelques informations, reste bien timide sur l’origine du déficit en eau.

Indépendamment des associations concernées, des citoyens ont pris l’initiative d’ouvrir une page Facebook pour soutenir le Collectif Eau 88 et élargir le débat aux questions d’alternative au système en place. Ils s’invitent aussi à certaines manifestations officielles pour les perturber et attirer ainsi l’attention de la population.

5) Concernant la recherche de soutiens nationaux (médias…)

Outre les publications parues en juillet 2016 sur plusieurs sites internationaux consacrés à l’eau, dans le Canard Enchaîné et le Figaro, des contacts sont en cours avec certains médias écrits, des sociétés de production télévisée, des partis politiques.

Soulignons que le sujet de l’extractivisme de l’eau à des fins d’embouteillage est totalement absent des programmes des candidats aux élections présidentielles.

6) Concernant une place accrue de la société civile dans les instances délibérantes comme la CLE 

La CLE est constituée de 3 collèges :

  • 24 membres au titre des collectivités territoriales, de leurs groupements et des établissements publics locaux. On y identifie facilement des élus qui sont juges et parties car financièrement liés aux industriels par la vente d’eau;
  • 13 membres dans le collège des usagers, des propriétaires fonciers, des organisations professionnelles et des associations. C’est dans ce collège que se côtoient industriels et associations environnementales ou de consommateurs. Lors des votes nous n’arrivons à dégager que 4 voix sur les 13. D’ailleurs, à l’élection du bureau pour 3 membres de ce collège, Nestlé et la Fromagerie ont été élus, aucun du côté des associations environnementales (soutenues par UFC que choisir);
  • 9 membres nommés par le préfet et représentants l’Etat et ses établissements publics;

En tout 42 membres avec des votes très homogènes (Etat et élus) et 4 votes en opposition.

En réalité, toutes les décisions sont prises en amont par le bureau ou le comité technique de la CLE, puis validées, sans débat, en séances plénières.

La législation doit évoluer. Faut-il pour cela un changement de République face à ce simulacre démocratique? Voir la vidéo de Marc Laimé du 6 décembre 2016.

A noter que la publication de l’enquête publique nationale sur la simplification de la gestion des SAGE ne va pas dans le sens d’une évolution vers plus de démocratie.

7) Concernant la remunicipalisation de l’eau

La France régresse avec les lois NOTRe et MAPTAM qui vont, si l’on suit Marc Laimé, pousser au contraire vers les délégations de service public (Suez, Veolia, La Saur). D’ailleurs notre président de la république ne se déplace-t-il pas à travers le monde (Grèce en particulier) pour promouvoir la privatisation de l’eau?

Signe de mauvais augure? La ville de Contrexéville vient de passer d’une régie municipale à une délégation privée. Elle a choisi la Saur mais non pas Suez comme à Vittel. Est-ce la raison pour laquelle son représentant à la CLE n’a pas été élu au bureau de cette instance?

8) Concernant la sécurisation des marques Vittel et Contrexéville

Dans les Vosges, la situation nous semble moins précaire que dans le Gard car Vittel Contrex sont les noms des villes sources. Au contraire de Perrier qui est le nom de la source, pas de la ville; d’où la tentative récente de Nestlé de quitter Vergèze en emportant la marque Perrier.

Nous sommes cependant préoccupés par le CETA (traité de libre échange entre l'UE et le Canada) car Nestlé possède une filiale canadienne qui pourrait être tentée de pulvériser le régime des autorisations de prélèvements grâce aux tribunaux arbitraux.

B. Propositions actualisées du Collectif Eau 88 en mars 2017

En raison du changement de posture de la société Nestlé Waters et de l’action judiciaire en cours sur les conflits d’intérêts patents observés, et surtout compte tenu de la période historique liée au réchauffement climatique, nous réaffirmons notre position constante dans ce dossier: notre opposition à tout transfert d’eau venant d’autres sites géographiques distants. L’ouest vosgien, situé sur deux bassins versants, doit trouver ses propres solutions.

Le déficit passé de la nappe des GTI était d’environ 1,1 million de m3 par an. Ce déficit sera vraisemblablement revu à la baisse par le BRGM en raison de la baisse de consommation des usagers (dépeuplement et électro-ménager moins gourmand), des travaux effectués par les syndicats des eaux pour juguler les fuites (rendement attendu au minimum à 85%).

Une réduction de l’ensemble des consommations (dont fuite des réseaux), hors industriels, à hauteur de 300 000 m3 est tout à fait envisageable.

Nestlé waters peut réduire ses prélèvements dans les GTI de 300 à 400 000 m3 sans que cela affecte ses intérêts économiques. En effet disposant du monopole d’exploitation des gîtes A et B, il pourrait utiliser une partie de cette eau, qui ne se vend pas si bien (Hépar par exemple), comme eau de process en remplacement des GTI.

La fromagerie l’Ermitage doit sortir de son attitude bloquée, renfrognée et contreproductive pour accepter de se faire accompagner dans la réduction de sa consommation d’eau. Comme le montrent nos comparaisons, là aussi 300 à 400 000 m3 d’économies d’eau peuvent être réalisées.

Ainsi, de 900 000 à 1 100 000 m3 peuvent être économisés, sans mise en œuvre (par Suez sans doute) des techniques des docteurs Folamour de l’eau!

Nous éviterons ainsi de déstabiliser les bassins hydrographiques des Vosges, leurs zones humides remarquables, classées Natura 2000, condamnées par de tels transferts (on dit substitution en novlangue).

C. Conclusion temporaire

Nos propositions, hic et nunc, s’inscrivent dans une démarche de transition que certains tentent de récupérer pour la détourner à leur profit (comme par exemple dans notre micro territoire, la Vigie de l’eau de Nestlé).

Cela veut dire qu’après avoir réussi à enrayer les transferts massifs d’eau (enjeu du 1er semestre 2017), d’autres propositions seront nécessaires, non seulement pour stopper le déficit annuel mais encore pour permettre à la nappe captive des grès de se régénérer après 40 ans de surexploitation industrielle forcenée.

Le combat ne fait que commencer, il se terminera immanquablement, un jour, par un Nuremberg de l’eau. C’est pourquoi toutes les décisions doivent être traçables, nominativement, pour l’Histoire.