Manifeste pour la Justice de l'Eau

Les organisations, Peuples Autochtones, mouvements sociaux et défenseurs de l'eau soussignés s'adressent aux Nations unies dans le cadre de la Conférence des Nations unies sur l'eau de 2023 pour amplifier la voix de ceux qui ne sont pas audibles et demander à ce que les questions fondamentales suivantes soient placées au centre des politiques relatives à l'eau aux niveaux mondial, régional, national et subnational :

 

  1. L'accès à l'eau et à l'assainissement sont des droits humains fondamentaux. L'eau est un bien commun, et doit être accessible à tous sans discrimination, sous contrôle public et non comme une marchandise. Les utilisations personnelles et domestiques de l'eau, notamment pour l'hygiène, doivent avoir la priorité absolue sur les utilisations productives, telles que l'agriculture et l'industrie.
  2. Les politiques relatives à l'eau doivent donner la priorité à la gestion durable des rivières, des lacs, des zones humides, des sources et des aquifères, en garantissant leur bon état écologique, dans le cadre du droit humain à un environnement sain et comme élément clé pour faire face aux crises actuelles de pollution, de déforestation, de désertification, de perte de biodiversité et de changement climatique. Les gouvernements doivent veiller à ce que les exploitants agroalimentaires et industriels soient soumis à l'obligation de transparence en matière quant à leur utilisation des ressources naturelles et tenus responsables de leur impact sur celles-ci, y compris l'eau, en s'appuyant sur la législation, la réglementation et leur mise en œuvre, et non sur des mesures volontaires.
  3. Les Peuples Autochtones ont des droits distincts et inhérents, ainsi que leurs propres systèmes de connaissances pour aborder la question de l'eau de manière harmonieuse. Les États doivent reconnaître leur statut de sujets jouissant de droits collectifs et respecter leurs droits territoriaux, leur droit à l'autodétermination et leur droit à la consultation et au consentement libre, préalable et éclairé à tout projet les concernant, et veiller à ce que la gestion de leurs moyens de subsistance, y compris l'eau, soit menée conformément à leurs propres normes, dans le respect de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples Autochtones.
  4. Les États doivent reconnaître et soutenir les pratiques communautaires de gestion de l'eau et de l'assainissement, ainsi que les modes d’organisation promus, entre autres, par les communautés rurales et les peuples autochtones, en développant des partenariats public-communautaire respectueux de leurs savoirs et traditions.
  5. Dans la plupart des pays, les populations rurales et celles vivant dans des implantations urbaines irrégulières sont les plus discriminées en termes d'accès aux services d'eau et d'assainissement. Les États ont l'obligation de faire de leur priorité absolue l'accès de ces populations à ces services. La coopération internationale doit donner la priorité à ces groupes dans ses actions.
  6. La participation active, libre et concrète des "détenteurs de droits" à toutes les questions relatives à la politique de l'eau doit être reconnue, soutenue et garantie, en mettant l'accent sur la participation substantiellement égale des femmes, en surmontant la marginalisation dont elles souffrent, malgré le fait qu'elles assument la plus grande responsabilité et le travail pour approvisionner en eau leur famille. Cette participation doit avoir la capacité d'influencer la prise de décision, en surmontant les faux modèles participatifs, qui ne font que légitimer les décisions prises par les élites de la société.
  7. Les services d'eau et d'assainissement doivent toujours reposer sur les droits humains, ne laissant personne pour compte, y compris ceux qui, parce qu'ils vivent dans des situations de vulnérabilité, de marginalisation ou de pauvreté, ont des difficultés à en assumer les coûts. La privatisation, la marchandisation ou la financiarisation des services d'eau et d'assainissement constituent un risque pour la réalisation des droits humains, et ne devraient donc pas être envisagées dans l’élaboration des politiques au niveau mondial, national ou local, ainsi que dans la coopération internationale, qui devrait plutôt promouvoir la propriété et la gestion publiques, renforcées par des partenariats public-public et public-communautaire.
  8. Les États doivent protéger et garantir les droits des travailleurs, ainsi que des conditions de travail décentes, justes et équitables. L'accès aux services dans les sphères de la vie en dehors du foyer doit de toute urgence recevoir un haut niveau de priorité dans les politiques publiques, y compris l'accès dans les espaces publics, les lieux de travail, les centres de détention, les écoles et les établissements de santé, ainsi que sur les marchés où les commerçants vendent de la nourriture et d'autres biens dans le cadre de l'économie informelle.
  9. Pour résoudre la crise de l'eau, il faut dépasser le cadre multilatéral actuel précaire de l'ONU en s'orientant vers une gouvernance capable de relever les défis présentés ci-dessus, en établissant un mécanisme intergouvernemental permettant la tenue régulière de consultations sur l'eau et l'assainissement, ainsi que des mécanismes spécifiques de suivi des engagements pris, auxquels les sujets et les détenteurs de droits humains participent pleinement, efficacement et de manière significative.

En tant que détenteurs de droits humains et défenseurs de l'eau, souvent criminalisés et persécutés pour avoir défendu les droits humains, nous exigeons que l'ONU donne la priorité au dialogue et à la collaboration avec les communautés en première ligne dans la mise en œuvre de l'ODD 6, notamment les Peuples Autochtones, les communautés paysannes, ceux qui vivent dans des implantations urbaines irrégulières, les populations victimes de discrimination fondée sur le genre, l'ascendance et la classe sociale, et tous ceux qui n'ont toujours pas d'accès garanti à l'eau potable et à l'assainissement.

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