Le projet du SEDIF et la politique européenne de l'eau
Communiqué de presse de la Coordination Eau Ile-de-France
Le projet de généralisation de l’Osmose Inverse Basse Pression (OIBP) pour le traitement de l’eau potable du Syndicat des eaux d’Île-de-France (SEDIF) n’est pas viable sous l’angle de la politique européenne de l’eau.
La commission des pétitions du parlement européen a examiné en urgence mardi 18 juillet 2023 une pétition initiée par notre association portant sur le projet de généralisation de l’OIBP pour le traitement du SEDIF et a pris une série de mesures pour la soutenir. Cette action réussie conclut notre campagne menée dans le cadre du débat public qui s’achève le 20 juillet 2023 et ouvre un nouvel axe de lutte pour les prochains mois. Le 20 juillet 2023, la Présidente de la commission des pétitions, Mme Dolors Montserrat, acte dans une lettre de la recevabilité de la pétition et des suites données..
Avec plusieurs co-signataires, nous avons déposé le 12 mai 2023 une pétition portant sur le projet de généralisation de l’OIBP pour le traitement de l’eau potable du SEDIF auprès de la commission des pétitions du parlement européen. Elle est enregistrée sous le numéro 0478/2023 et doit apparaître sur le site web du parlement européen dans les quatre mois suivant le dépôt.
Télécharger la pétition avec les premiers signataires
La Commission des pétitions du parlement européen a examiné la pétition en urgence mardi 18 juillet 2023. La pétition a été présentée par Jean-Claude Oliva (voir son intervention ci-dessous).
Dans sa réponse, le représentant de la Commission européenne a demandé que les autorités françaises réalisent des évaluations environnementales de l’impact du projet du SEDIF sur les masses d’eau et sur les zones Natura 2000 en aval des usines du SEDIF. Son avis détaillé et écrit sera publié dans les prochains jours. Les groupes PPE (droite), socialiste et écologiste ont apporté leur soutien à la pétition. Ils ont souhaité qu’elle reste ouverte sur le site du parlement européen et que la Commission environnement de l’Union européenne soit saisie. A la suite de cette séance, un courrier de la commission des pétitions sera adressé sous quinze jours aux autorités françaises.
Voir la vidéo de l’audition (doublée en anglais) à partir de 10:10:30
L’intervention liminaire de Jean-Claude Oliva
Mesdames et messieurs les député.e.s, Mesdames et Messieurs,
Je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir mis notre pétition à l’ordre du jour de vos travaux.
(...)
Le Syndicat des eaux d’Ile-de-France (SEDIF) est un établissement public chargé de l’eau potable qui délègue ce service à l’entreprise Veolia. Son réseau dessert quatre millions d’usagers sur les douze millions d’habitants de la région francilienne.
Le SEDIF souhaite mettre en place un nouveau procédé de traitement de l’eau dans ses trois principales usines de production d’eau potable pour répondre aux problèmes suivants: la présence de micropolluants dans l’eau potable, la chloration de l’eau pour son transport et la présence de calcaire.
Le projet consiste à généraliser une filtration membranaire basée sur l’Osmose Inverse Basse Pression (OIBP), un proceed équivalent pour l’eau douce, à la désalinisation de l’eau de mer. La désalinisation de l’eau de mer produit de l’eau douce et des saumures; l’OIBP sur l’eau douce produit de l’eau déminéralisée, non potable en l’état, et un concentrat de sels minéraux et de micropolluants. L’eau osmosée serait coupée avec de l’eau nanofiltrée (une filtration membranaire qui laisse passer les sels minéraux mais aussi certains micropolluants) pour devenir potable.
Je ne suis pas opposé par principe à l’innovation technologique en général, ni à ce procédé en particulier. Il peut avoir son utilité à une échelle locale ou de façon temporaire, quand on ne peut pas faire autrement. Mais sa généralisation sur le territoire du SEDIF dans un premier temps et potentiellement à toute l’Île-de-France et à d’autres régions ensuite, provoquerait des inconvénients majeurs pour l’environnement et des impacts sociaux néfastes par son coût démesuré.
L’un des enjeux principaux du projet concerne le concentrat de sels minéraux et de micropolluants produits à la suite de la filtration membranaire. Plus de 100 000 m3/jour de concentrats (jusqu’à 140 000 m3/j) se retrouveront directement rejetés dans les cours d’eau (la Seine et ses affluents la Marne et l’Oise). Le SEDIF a d’ailleurs reconnu qu’il s’agit de déchets qui seraient ainsi rejetés dans les cours d’eau.
Localement, aux points de rejet, des impacts directs et importants sur la faune et la flore sont à prévoir.
Les mêmes concentrats rejoindront ensuite les captages et nappes alluviales qui alimentent les habitants de l’ouest francilien, et causeront une dégradation des masses d’eau superficielles et des impacts écologiques sur des zones classées Natura 2000 en aval des usines du SEDIF.
Cela va à l’encontre de l’esprit de la directive cadre sur l’eau. En effet, le projet du SEDIF dégrade la qualité des masses d’eau en poussant le degré de purification de l’eau au-delà des normes admises ; il oblige les usines de potabilisation situées en aval à accentuer elles aussi leur traitement car les eaux prélevées seront davantage polluées. C’est cette rupture avec le principe de solidarité amont-aval qui a d’ailleurs conduit mon collègue Dan Lert, président d’Eau de Paris, à être co-signataire de cette pétition.
Outre les conséquences directes pour les usines situées en aval de celles du SEDIF, ce projet vise à construire une vitrine technologique pour le procédé de filtration membranaire à l’échelle francilienne, nationale et européenne. En effet, le discours de promotion du projet dévalorise et disqualifie systématiquement les autres procédés de traitement de l’eau (comme les charbons actifs à renouvellement continu) qui sont pourtant aussi efficacies et qui n’ont pas les mêmes inconvénients environnementaux. Son adoption par le plus grand service public de l’eau en France lui donnerait une visibilité importante et risquerait d’entraîner de nombreux villes et territoires à suivre cette surenchère technologique. Ce serait un argument de vente majeur pour les entreprises qui le maîtriseront, pour le proposer partout. Ce danger de voir la filtration membranaire imposée partout, sans discernement, dans une visée purement commerciale, a notamment conduit mon collègue Philippe Rio, président de la régie publique de Grand Paris Sud, à être co-signataire de la pétition.
D’autant que le SEDIF délivre un discours alarmiste sur la qualité de l’eau actuellement distribuée, sous-entendant qu’elle n’est pas potable, que la prévention est et sera toujours un échec et que la seule solution est dans l’augmentation du traitement. Une approche exclusivement curative de la qualité de l’eau potable est mise en avant.
La priorité est donnée aux enjeux sanitaires sur les enjeux environnementaux, ignorant que c’est du bon état de l’environnement que dépend in fine notre santé.
Ce projet va donc à l’encontre du principe de précaution. Pourtant le SEDIF justifie la nécessité de l’OIBP par l’application de la directive eau potable 2020/60 et prétend même anticiper de futures normes européennes. Or l’eau actuellement distribuée par le SEDIF est déjà conforme à tous les paramètres de la directive eau potable, sans utiliser l’OIBP !
Le traitement par filtration membranaire est présenté comme la recette miracle qui dispenserait de tout effort pour limiter la pollution de l’environnement par les pesticides. C’est un permis de polluer. A la différence d’autres traitements, il conserve les micropolluants dans l’environnement via le rejets des concentrats. Alors que des alternatives existent avec des procédés comme les charbons actifs à renouvellement continu, qui permettent de retirer les micropolluants de l’eau et de les détruire.
Toutes ces raisons nous ont conduit à saisir votre commission et je tiens à vous remercier pour votre écoute.
Retrouvez l’article originellement publié sur le site de la Coordination Eau Île-de-France, le 19 juillet 2023 ici.