Déclaration de l'European Water Movement depuis le FAMA à Brasilia
La semaine dernière (17-22 mars 2018), une délégation d'une vingtaine de membres de l'European Water Movement a participé au Forum Alternatif Mondial de l'Eau (FAMA, Foro Alternativo Mundial da Agua) à Brasilia: l'alternative concrète au Forum Mondial de l'Eau organisé par le Conseil Mondial de l'Eau qui représente la voix des multinationales et de la Banque Mondiale.
Les mouvements sociaux, les syndicats, les communautés locales, les groupes féministes et les peuples autochtones se sont rassemblés pour lutter contre l’objectif de ces entreprises de transformer l'eau en marchandise et de promouvoir la financiarisation des masses d'eau et des écosystèmes, de privatiser les ressources et faire de ce droit humain une marchandise.
Le FAMA était un événement chaleureux et plein d'espoir, rassemblant 7000 militants de différents endroits et facilitant l'échange sur les défis, les expériences et les solutions. Une fois de plus, l'importance d'approfondir et de renforcer les positions et les liens entre les mouvements sociaux, les syndicats, les peuples autochtones et les communautés locales a été confirmée. Il est également apparu essentiel de se concentrer sur les luttes des femmes contre la privatisation de la nature et le patriarcat.
Pendant ce temps, les entreprises et les États réunis au «forum des entreprises» ont affirmé qu'ils cherchaient des actions sur l'eau, comme indiqué dans la Déclaration Ministérielle.
Cependant, leurs actions ne vont certainement pas dans le sens d'une promotion sincère de la reconnaissance et de la mise en œuvre du droit humain à l'eau.
La déforestation, l'agrobusiness et les projets hydroélectriques ne sont même pas mentionnés dans la Déclaration Ministérielle, or l'impact de l'agro-industrie et de l'accaparement de l'eau est une préoccupation fondamentale pour les peuples autochtones, les petits agriculteurs et les mouvements populaires. En effet, les conséquences de l'agrobusiness, largement discutées lors du FAMA, sont catastrophiques: rivières polluées, baisse du niveau des aquifères, disparition des sources, menace sur le régime hydrique, sécheresses liées à la déforestation. L'agriculture familiale et la pêche sont mises en péril, des expulsions forcées ont lieu, les terres sont monopolisées, les biotopes sont menacés. Tout cela au profit de grandes banques ou de fonds de pension aux Pays-Bas, en Suède ou en Allemagne dont les bénéficiaires ignorent que leur fond de pension provoque la violation des droits humains des peuples autochtones et la destruction de l'environnement.
Les participants du forum des entreprises ont insisté sur la nécessité de «respecter le droit de chaque être humain, indépendamment de sa situation et de sa localisation, à l'eau potable et à l'assainissement en tant que droits humains fondamentaux», mais ils visent à le faire à travers une coopération impossible entre le secteur privé et ceux affectés par la privatisation. Une telle coopération n'existera jamais!
En effet, la Déclaration Ministérielle mentionne à peine la reconnaissance du droit humain à l'eau tel que stipulé dans la Résolution 64/292 de l'ONU. Rien d’étonnant sachant que personne où que ce soit ne jouit de ce droit et que l'accès à l'eau reste subordonné à la logique d'accessibilité économique, fondée sur le rôle du secteur privé comme prétendument garant d’un tel droit.
Bien sûr, le terme privatisation n'est pas même mentionné dans la Déclaration Ministérielle, tandis que tous les participants du FAMA ont réaffirmé clairement et à plusieurs reprises qu’il s’agit d’un enjeu crucial affectant les populations partout dans le monde.
En dénonçant les stratégies des entreprises et des institutions financières multilatérales visant à la privatisation et financiarisation de la nature, la déclaration finale du FAMA décrit l'impact de ces politiques sur la nature (et plus largement sur les inégalités sociales) et leurs responsabilités en matière de criminalisation, menaces et assassinats de défenseurs des droits environnementaux.
Le FAMA a dénoncé les violations des droits humains à l'eau, mais a également promu des alternatives efficaces, allant de l'agro-écologie de petite échelle aux partenariats public-public et aux partenariats communautaires publics.
L'European Water Movement (EWM) a contribué à un large débat sur les luttes européennes et a décrit comment l'impact négatif de la marchandisation de l'eau et de la privatisation est une préoccupation commune.
En tant qu'EWM nous sommes inspirés par la lutte du mouvement pour l'eau en Amérique latine et au Brésil en particulier, et nous rentrons chez nous convaincus que le renforcement de la coopération est crucial pour combattre la privatisation et parvenir à la justice de l'eau. Nos luttes sont intimement liées. Non seulement parce que, comme nous le savons tous, la plupart des plus grandes entreprises de privatisation et d'accaparement de l'eau ont leur siège en Europe, mais encore plus en raison de l'importance cruciale des ressources en eau, par exemple l'aquifère Guarani au niveau mondial.
Nous combattons le même ennemi, qui met en œuvre des politiques similaires avec différents «visages» à la fois dans le Nord et dans le Sud. Par conséquent, nous devons mener ces luttes à la fois au niveau local, dans nos propres communautés, et dans une perspective globale. La privatisation de l'eau et les politiques d'accaparement de l'eau sont des composantes constantes du capitalisme néolibéral basé sur l'exploitation de la nature, des peuples et des corps (et ceux des femmes encore plus!). Nous devons réagir ensemble, en construisant des alliances et des stratégies.
Comme réaffirmé au FAMA, l'eau est un bien commun et garantit la vie des populations et des écosystèmes. Elle doit être protégée de l'exploitation et de l'accaparement, et être garantie en tant que droit humain dans les lois et les pratiques (y compris à travers des politiques de non-discrimination, de transparence, de solidarité et de durabilité).
La sacralité de l'eau sous ses différentes formes est également reconnue, et l'importance de la sagesse et des pratiques traditionnelles doit également être défendue dans le cadre de cette lutte, ancrée dans la vie des territoires et des peuples.
En tant qu'EWM, nous rejoignons la lutte de tous ceux qui dénoncent les politiques néolibérales, et nous dénonçons la complicité entre les élites politiques et économiques agissant en faveur de la marchandisation et de la privatisation de l'eau. La participation des citoyens, des communautés et des peuples est un élément crucial pour une gestion démocratique des ressources en eau. Elle repose sur l'égalité et la coopération, mais aussi sur l'accès à l'information et aux outils de participation. Les gouvernements devraient soutenir une gestion véritablement démocratique et publique de l'eau et agir conformément aux dispositions internationales relatives aux droits humains garantissant la jouissance du droit humain à l'eau, protégeant les peuples (en particulier les peuples autochtones) contre les pressions commerciales et l'accaparement, et en respectant les droits des travailleurs, s'ils sont sincères dans leurs efforts pour agir sur l'eau.
La marchandisation de l'eau fait partie des stratégies néolibérales prédatrices, elle est injuste et non-durable, et elle est également illégale:
Água é direito, não mercadoria!