Quelle démocratie pour la gestion de l’eau au sein de l’UE ?
Compte-rendu de l'atelier de l'European Summer University for social movements du vendredi 22 août 2014, 9h30-12h00
Résumé
L’atelier est organisé par l’European Water Movement. Il présente ce qu’est la participation du public définie dans la Directive Cadre sur l’Eau et comment elle est mise en œuvre dans différents Etats de l’UE. Il présente aussi les outils de démocratie directe (référendum local ou national, Initiative Citoyenne Européenne) utilisés par les mouvements pour l’eau et en tire un bilan. Enfin des propositions et initiatives pour une véritable démocratie directe et participative sont discutées.
Intervenant(e)s
Annelies Broekman (XNCA), Josep Ribera (XNCA), Jutta Schuetz (Aquattac), Marc Laimé (Consultant, France), Renato di Nicola (Forum italiano dei movimenti per l’acqua), Claus Kittsteiner (Berliner Wassertisch), Yiorgos Archelontopoulos (SOSte to Nero), Henri Coing (Observatoire parisien de l’eau), Kostas Nicolaou (Initiative K136).
Compte-rendu
I. La participation du public
La Directive Cadre sur l’Eau (DCE) adoptée en 2000 au sein de l’UE pose comme principe que la gestion de l’eau doit être démocratique et elle définit pour cela la participation du public.
Le cadre formel de la DCE considère les canaux de communication comme étant essentiellement unilatéraux et n’oblige pas les Etats membres à assumer pleinement leur responsabilité vis-à-vis des citoyens. L’expérience nous montre que les citoyens ne peuvent pas accéder aux informations pertinentes, leurs contributions ne sont pas prises en compte et les espaces participatifs sont investis par les lobbies. En outre, les Etats membres n’ont pas adapté leur cadre institutionnel afin de surmonter les conflits entre différentes instances et ministères. La participation du public ne sera véritablement démocratique que lorsqu’il y aura une volonté politique de faire face aux conflits existants. Aucun cadre formel ne peut fournir la solution. Il faut plutôt mettre en place des processus de gestion de l’eau répondant à une demande collective de transparence et d’éthique.[1]
La participation publique de XNCA s’est traduite par 200 réunions entre 2006 et 2008 pour une vingtaine de bassins versants en Catalogne (Espagne). XNCA n’a obtenu aucune réponse satisfaisante et ses propositions ont toutes été rejetées sous prétexte de coût trop élevé ou d’incompétence. Participer permet d’être tenu au courant des projets de l’administration et de montrer notre capacité au dialogue. Mais il nous faut aussi inventer d’autres modalités d’intervention basées sur des actions directes ou des actions en justice.[2]
En Allemagne, la fourniture d’eau est de la responsabilité des municipalités, lesquelles peuvent choisir entre plusieurs modes de gestion relevant des lois publique ou privée pour accomplir cette tâche. Dans le cas d’une gestion publique, les citoyens ont très peu de possibilités pour influencer et contrôler ; dans le cas d’une gestion privée, l’absence de contrôle démocratique est plus qu’évident. Afin d’assurer une gestion de l’eau démocratique, socialement juste, responsable, écologique et transparente, un changement profond de paradigme est indispensable. Nous devons aller plus loin que permettre de commenter un projet de plan de gestion, voter aux élections municipales ou à un référendum. Il faut des organes participatifs avec pouvoir décisionnel des citoyens pour gérer l’eau comme un commun.[3]
En France, les consultations du public organisées par les agences de l’eau en 2005 et 2008 ont été des fiascos (information déficiente, faible participation du public et données résultantes inexploitables). Actuellement, les usagers domestiques de l’eau représentent environ 5% des membres des comités de bassin, alors qu’ils contribuent à 90% du budget des agences de l’eau à travers leur facture d’eau. Toute proposition d’augmentation de la représentation des usagers domestiques se heurte au lobby de l’eau qui défend le statu quo.[4]
II. Référendums et Initiative Citoyennes Européennes
Il existe aussi d’autres dispositifs d’exercice de la démocratie que peuvent utiliser les mouvements pour l’eau :
- les référendums d’initiative citoyenne que permettent certains Etats membres
- les Initiatives Citoyennes Européennes (ICE) introduites dans le traité de Lisbonne
En 2011, les italiens abrogeaient l’article de loi garantissant la rémunération du capital investi au profit des opérateurs d’eau privés grâce à un référendum national organisé par le Forum italiano dei movimenti per l’acqua. L’abrogation n’a jamais été appliquée et l’autorité de régulation de l’eau, l’électricité et le gaz réintroduisait même la rémunération du capital investi sous un autre nom dans la facture d’eau en 2012. La campagne d’ « Obbedienza civile » avec l’auto-réduction de la facture d’eau a été lancée à l’initiative du comité Acqua Pubblica d’Arezzo en réponse à ce déni de démocratie[5]. Actuellement, plusieurs régions se sont prononcées en faveur de l’application du référendum. Dans un contexte politique difficile, le Forum italiano vient de créer l’observatoire national des biens communs et essaie de fédérer les luttes pour l’eau avec celles concernant les déchets.
En 2011, les berlinois obtenaient la divulgation des contrats secrets liant les actionnaires privés (RWE et Veolia) et public de la société des eaux de Berlin (BWB) grâce à un référendum organisé par la Berliner Wassertisch. Il s’en est suivi en 2013 la remunicipalisation de la BWB. Mais cette remunicipalisation n’est pas satisfaisante : le rachat des actions s’est fait à un prix trop élevé et la BWB continue de fonctionner comme une holding à but lucratif. La Berliner Wassertisch lutte actuellement pour la démocratisation de la BWB : rédaction d’une charte berlinoise de l’eau pour une gestion transparente, sociale et écologique de la BWB ; création d’un conseil berlinois de l’eau ouvert à tous ceux qui veulent s’impliquer dans la mise en œuvre d’une nouvelle BWB.[6]
L’ICE right2water est la première ICE validée. La Commission européenne comme le prévoit le traité de Lisbonne a donc dû donner une réponse aux questions soulevées par cette ICE. La réponse négative de la Commission a été présentée par cette dernière comme étant positive[7]. L’EPSU et les mouvements pour l’eau vont définir ensemble une stratégie post-ICE.
Le 14 mai 2014, la coalition SOSte to Nero organisait un référendum sur la privatisation de EYATH (société des eaux de Thessalonique) avec le soutien de l’EPSU et de l’European Water Movement. Le gouvernement grec déclarait ce référendum illégal et essayait de l’empêcher. Malgré cela, plus de 218000 habitants se prononçaient à 98% contre la privatisation. Parallèlement, la Court Suprême déclarait illégal la vente des actions de EYATH et EYDAP (Athènes) appartenant à l’État en vue d’une privatisation de ces 2 sociétés, comme le réclame la Troïka. Le risque de privatisation étant écarté, SOSte to Nero s’attache désormais à améliorer le fonctionnement de EYATH au service des usagers (embauche de personnel plutôt que sous-traitance, baisse de la facture d’eau pour les familles en difficulté…). Un réseau grec des opérateurs d’eau publics est en cours de construction.[8]
III. Initiatives et propositions
Les mouvements pour l’eau regroupés au sein de l’European Water Movement considèrent que les dispositifs actuels d’exercice de la démocratie sont insuffisants. Ils proposent l’introduction d’une démocratie directe et participative qui pourrait passer par la mise en place :
- d’une structure inspirée de l’Observatoire parisien de l’eau
- de coopératives pour gérer l’eau à la place des modes de gestion publique et privée actuels
L’Observatoire parisien de l’eau[9] est une commission extra-municipale créée en 2006 par le maire de Paris. Cette commission est ouverte à tous (usagers, associations, experts, syndics d’immeuble...). Elle possède une voix délibérante dans le conseil d’administration de la régie publique « Eau de Paris ». L’Observatoire a une mission de concertation et de contrôle citoyen sur la politique municipale de l’eau. L’ensemble de ses activités et réunions sont publiques. La Berliner Wassertisch souhaite s’en inspirer pour le Conseil berlinois de l’eau de même que la Plataforma contra la privatizacion del Canal Isabel II pour sa proposition d’un Observatorio del Agua[10].
Depuis 2011, Initiative K136 propose que l’eau soit gérée à Thessalonique par des coopératives. Cette gestion collaborative est abordée comme une alternative dans le contexte de l'économie sociale et solidaire et de la démocratie directe ; elle est principalement basée sur la participation démocratique des citoyens tout en assurant aussi la participation des travailleurs et des collectivités locales. Les pré-requis pour la gestion collaborative de l'eau sont: la reconnaissance de l'eau comme un bien commun et non comme une marchandise, la création de coopératives et leur exploitation "d'en bas" sur une base non lucrative, l'indépendance vis-à-vis d’intérêts économiques et politiques, afin d'assurer la participation du citoyen la plus démocratique possible.[11]
[1] La participación pública se ahogó en la Directiva Marco del Agua
[2] La mentira de la participación pública en Catalunya
[3] Implementation of public participation in Germany
[4] Politiques publiques de l'eau, DCE et participation du public en France
[5] La campagne « Obbedienza civile »
[6] Berliner Wassertisch: les principales étapes
[7] La Commission Européenne ne parvient pas à prendre de véritables mesures pour la reconnaissance du droit humain à l’eau
[8] The referendum in Thessaloniki
[9] L’observatoire parisien de l’eau
[10] Propuesta de participación social por el Canal de Isabel II
[11] Critique de l'économie politique de l'eau et alternative collaborative